For a While

Sasha & Martha


Petit retour en arrière.  Cet après midi avait été plutôt intense au bureau.  Il y a des périodes comme ça dans l’année où sans qu’on sache pourquoi, les dossiers affluent et ça vaut pour toutes les professions.  Le téléphone n’avait pas arrêté de sonner, j’avais des tas de conclusions à taper en un temps record et pas assez de bras pour en faire plusieurs en même temps.  Autant dire que je n’avais pas chômé.  Je ressemblais à une petite abeille affairée autour de la ruche à courir partout, à répondre à diverses sollicitations, le tout en gardant mon souffle !  Mais je ne me plaignais pas.  Ca ne faisait pas très longtemps que je bossais ici et j’avais tout fait pour m’intégrer très vite.  Sasha m’avait permis d’avoir ce job et rien que pour ça je me devais de fournir un travail impeccable.  Sans lui je ne sais pas où j’en serais en ce moment... Sans doute que j’aurais dû vendre la maison, prendre un ou deux petits boulots qui m’auraient à peine permis de joindre les deux bouts.  Ici j’avais un bon salaire et si je devais faire plus attention aux dépenses, j’arrivais à payer les factures.

Ca n’avait pas été facile pour moi d’apprendre un métier comme ça sur le tas.  J’avais la chance d’avoir une orthographe impeccable, ce qui aidait bien, je ne ne connaissais rien au milieu juridique, alors autant dire que j’avais toujours un dictionnaire sous la main.  Décoder ce que j’entendais sur le dictaphone n’était pas toujours évident, mais ça devenait de plus en plus facile, ce qui était rassurant.  Sasha avait pris du temps pour m’expliquer certaines choses, certaines procédures pour que ça soit plus facile pour moi.  Quelques soirées à plancher sur le sujet m’avait permis d’avoir moins de questions à poser et de me montrer plus efficace dans le travail qu’on me donnait.  Alors vous voyez, réussir à me débrouiller dans un tel moment de rush, ça fait du bien au moral.

Ce matin, je m’étais levée plus tôt que d’habitude pour pouvoir conduire Lana au lycée.  Avec l’école, ils allaient passer trois jours dans un parc naturel à l’initiative de leur prof de science et la jeune fille, comme d’habitude, avait râlé à l’idée de dormir par terre dans une tente et de n’avoir aucune prise auquel brancher son lisseur.  Je lui ai donné une occasion de râler encore plus en prenant la peine d’attendre que le car démarre.  Pour elle, je la surveillais, alors que comme tous les autres parents présents, j’avais juste à coeur de l’accompagner jusqu’au bout.  A croire que quoi que je fasse, ça ne soit pas ce qu’elle attend de moi.  Je serai donc seule avec les jumelles ce soir et du coup, j’ai eu l’idée d’inviter Sasha à nous rejoindre par un «Une soirée lasagnes, ça te tente ?».  J’adorais sa compagnie, les petites aussi, c’était l’occasion qu’il vienne à la maison juste comme ça, pour le plaisir.

Et puis au moins comme ça j’étais sûre qu’il mangeait bien.  C’était la moindre des choses après tout ce qu’il avait fait pour moi.  Je l’appréciais déjà beaucoup avant le départ d’Eliott, mais il s’est vraiment révélé dans mes moments difficiles.  J’ai découvert un homme bien loin de ce que la majorité des gens pensaient de lui, quelqu’un de très présent et à l’écoute, de généreux et incroyablement gentil.  Je sais qu’il ne voudrait pas que ça s’ébruite pour conserver sa réputation de requin, mais je ne suis pas dupe et je suis contente de connaitre et de pouvoir profiter du vrai Sasha.  Rendez-vous avait donc été donné à la maison et comme toujours les filles avaient tenu à m’aider dans la recette.  Elles étaient en train de répartir le gruyère sur le dessus de la lasagne avec application quand on a sonné à la porte.


Entre Sasha, c’est ouvert !

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Sasha & Martha


Et bien voilà, leur oncle arrive et plus rien d’autre n’existe ! Regardez les filer vers lui comme si elles ne l’avaient pas vu depuis des semaines entières ! Les filles sont folles de Sasha, et elles sont encore plus proches de lui depuis le départ de leur père. Ca n’a pas été facile pour elles, elles ont été confrontées à une réalité qui les dépassait totalement et pour laquelle je ne pouvais fournir aucune explication. Pourtant maman devait avoir toutes les réponses dans leur esprit d’enfant, mais j’étais tout aussi désemparée qu’elles. En plus je ne savais pas quoi leur dire mais on m’a conseillé de faire sobre et honnête : «Votre papa est parti, je ne sais pas où, je ne sais pas pourquoi, et je ne sais pas s’il a l’intention de revenir». Voilà... Allez dire ça à des gamines de six ans ! Aujourd’hui, j’étais terriblement en colère contre Eliott. L’incompréhension a fait place à la peine, mais maintenant j’ai fini de pleurer, je lui en veux terriblement. Pas d’être parti, au final peut être qu’il a bien fait, mais je lui en veux de la façon de l’avoir fait. C’était égoïste et lâche, et pas seulement pour moi mais pour nos filles, et pour Lana. Je ne comprends pas qu’on puisse abandonner ses enfants comme ça... Je serais bien incapable de le faire, même pour Lana qui pourtant me mène la vie dure et dont je ne suis pas la mère biologique. Alors comment a-t-il pu partir comme ça ? C’est un mystère, et si j’ai souvent eu envie d’avoir des réponses, je ne suis même plus sûre de vouloir savoir ce qui a bien pu lui passer dans la tête pour en arriver là.

Il faut dire que ma vie commence seulement à se remettre sur des rails, je n’ai pas envie d’un nouveau bouleversement, en tout cas pas un bouleversement négatif. J’ai dû tout revoir, réorganiser ma vie du tout au tout, j’ai cru tout perdre et sans Sasha c’est probablement ce qui se serait passé. Je me fous de ses raisons, j’ai juste besoin de retrouver mon équilibre et de m’y accrocher, de me poser après deux mois d’un stress inimaginable. Et vous voyez, ce soir, alors que je vois mes filles dans les bras de leur oncle, je vois un nouvel équilibre se dessiner.


Salut toi ! Contente d’avoir l’image et pas que le son cette fois !


Je laissais échapper un rire léger et lui faisais un clin d’oeil avant de vérifier la température du four. C’est clair qu’aujourd’hui, je l’ai beaucoup entendu... Et il était évident qu’il était un chouilla sur les nerfs, raison pour laquelle je lui ai proposé de venir se détendre à la maison ce soir. Sasha, c’est pas vraiment le genre de gars que les gens trouvent sympathique. Il est redoutable à la barre, le voir plaider est toujours impressionnant... Mais il avait la réputation d’être froid, d’avoir un sale caractère et d’être bourru. Je n’ai jamais rencontré cet homme là, le Sasha que je connais est gentil, disponible, gentleman, loyal... Quelqu’un de rare que j’ai une chance folle d’avoir dans ma vie.


Allez les filles, filez à la salle de bains pour vous débarbouiller pendant que la lasagne cuit. Chloé tu n’embêtes pas ta soeur, et Analyn, ne mets pas de l’eau partout !

On peut mettre nos pyjamas maman ?

Non, vous les mettrez tout à l’heure quand vous irez dormir.

Rooooh !

Et on ne râle pas ! Allez, zou !


Je les regardais trottiner vers l’escalier et me retournais ensuite pour faire face à Sasha. Il m’avait posé une question et j’avais préféré envoyer les fille ailleurs pour lui répondre. Je n’aimais pas parler de Lana en leur présence, surtout des problèmes qu’elle me posait régulièrement. J’aimais cette gosse... Mais parfois elle me rendait dingue.


Lana a pété un câble quand je lui ai fait remarquer qu’il n’y avait aucune prise électrique au milieu de la forêt et que donc ce n’était pas la peine de prendre son lisseur. Elle m’a accusée d’avoir fomenté un complot avec son prof de sciences pour me débarrasser d’elle et... Ah oui ! Je lui ai foutu la honte parce que j’ai voulu rester là jusqu’à ce que le car ne démarre. D’après elle c’est parce que je n’ai pas confiance en elle et que je voulais vérifier qu’elle ne sautait pas du car en marche.


Je haussais les épaules.


La routine quoi !

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Ah oui, pour Sasha, ça avait été un jour sans, je n’en doutais pas ! Mais ça me faisait presque sourire quand j’entendais ses cris, parce que je savais à quel point cet homme est un grand passionné. Pour tout je crois... C’est quelqu’un d’entier qui ne fait jamais les choses à moitié et quand il devait défendre un client, il y mettait toute son énergie. On apprécie ou pas, mais moi je me disais que si un jour je devais engager un avocat pour me défendre dans une affaire d’homicide, j’apprécierais son zèle et son implication ! En plus le fait qu’il se défoule dans le cadre de son métier lui permet d’être totalement zen dans le privé et depuis quelques temps, c’est moi qui en profitais.

C’est drôle de voir à quel point le départ d’Eliott nous a rapprochés tous les deux. Je ne m’attendais pas à un tel soutien, même si je savais que je pourrais compter sur lui. Ca nous a permis de parler, beaucoup... Et maintenant que je le connais mieux, je l’en apprécie d’autant plus. Ca fait quelques semaines que ma maison est devenue son point de chute, il y vient beaucoup plus souvent et ça me convient très bien. Pour être parfaitement honnête, il me manque quand il n’est pas là, mes soirées n’ont pas le même goût sans sa présence. Quand je me suis rendue compte de ça, ça m’a fait un choc, parce que ça me donnait à réfléchir. Et depuis, je me dis que décidément, je me suis trompée de frère. C’est fou de penser ça, non ? Pourtant c’est tellement évident ! Eliott et moi n’avons jamais été aussi complices, ça nous a pris des mois avant de nouer une relation où on se sentait à l’aise. Mais avec Sasha ça a été tellement vite, ça c’est fait tellement naturellement, sans même y penser !

Mais je me dis que je ne dois pas me laisser aller à mes sentiments. Qu’est-ce qu’il va penser de moi si je lui fais comprendre qu’après deux mois seulement j’ai oublié son frère pour l’aimer, lui ? Je ne suis pas un coeur d’artichaut, le genre de fille qui tombe amoureuse dès qu’elle croise un homme qui lui plaît et je n’ai jamais compris les gens qui se remettent en couple quelques jours ou semaines seulement après une séparation. Eliott n’était pas simplement un petit ami. On a été mariés, c’est le père de mes enfants, je ne songeais pas du tout à la séparation quand il est parti. Alors qu’est-ce qui s’est passé pour que Sasha prenne si facilement une telle place ? Ce n’était pas de la gratitude que je ressentais à son égard, c’était bien autre chose, il faisait partie de mon foyer, plus encore que de ma famille.


Oh attends ! Elle doit tenir trois jours ! Je m’attends à un coup de fil à n’importe quel moment... Si son prof de sciences fait un burn out, on saura pourquoi.


Autant le prendre avec le sourire, non ? Lana était un tempérament terrible, en même temps je comprenais cette gamine. Plus de mère, un père qui se barre et la laisse là comme un paquet encombrant, elle avait de quoi se révolter contre le monde entier. Et le monde entier, et bien c’était moi. Elle se défoulait sur la figure parentale qui lui restait et qu’elle ne considérait pas comme légitime puisque je n’étais pas sa mère biologique. C’est comme ça, je ne peux rien y changer. J’essaie de l’adoucir autant que je peux, de lui montrer que je suis là pour elle et que je ne suis pas son ennemie, mais pour l’instant elle est encore dans une phase de révolte. J’espère que ça lui passera et que si je prends patience elle finira par voir les choses autrement.


Oh là ! Ca c’est courageux quand on considère qu’elle est à sa période films japonais en VO sous-titrés !


Je tapotais son bras en signe d’encouragement, me disant que je voudrais être une petite souris pour voir sa tête quand elle fera son choix de film. C’est vrai que ça serait peut être bien pour elle d’aller chez son oncle pour déstresser après ses trois jours d’enfer. Peut être qu’elle sera de meilleur humeur quand je la reverrai. Je sortais une bouteille de vin et la tendais à Sasha pour qu’il l’ouvre. C’est vrai que l’odeur de la lasagne maison commençait à remplir la pièce et il était temps que je mette la table. J’allais jusqu’à l’escalier pour crier aux filles de se dépêcher avant de placer les napperons et les assiettes. Il n’a pas fallu une minute pour qu’elles descendent toutes excitées.


Oncle Sasha ! Est-ce qu’on pourra aussi aller camper ?

Lana a cro de la chance !

Pas sûre qu’elle soit de votre avis !

Vi mais nous on veut aller avec vous deux.

Ca serait drooooooôle ! Dis oui Oncle Sasha, dis oui !

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Sasha & Martha


Mes filles étaient curieuses. Elles sont le genre de petites filles qui aiment découvrir des choses, qui aiment tout comprendre et qui n’ont pas froid aux yeux. La peur de l’inconnu, elles ne connaissent pas, ce sont de véritables aventurières dans l’âme. En espérant qu’elles gèrent ça bien dans le futur, parce qu’autant avoir envie d’aller camper avec leur mère et leur oncle c’est sympa, autant plus grandes elles risquent d’avoir envie d’essayer des choses plus dangereuses. Là, je vais plus m’inquiéter, c’est certain, mais pour l’instant je ne peux que sourire à voir l’air amusé qu’affiche Sasha à l’idée de cette petite sortie avec ses nièces. Et moi, je m’amusais à imaginer Sasha en train de camper, loin de ses dossiers, de ses costumes taillés sur mesure et de sa voiture de luxe. Ce côté là devait exister, j’en étais sûre. Personne ne connaît le Sasha que moi je côtoie pourtant il existe bel et bien, alors j’attends avec impatience de voir le campeur qui sommeille en lui !


On est touzours sages nous !

Et on travaille super bien !

Et vous êtes modestes aussi, n’est-ce pas ? Et si vous donniez un coup de main pour mettre la table ?


Pas besoin de leur dire deux fois, elles avaient justement envie de se faire bien voir pour cette fameuse sortie, c’était l’occasion pour elles de jouer les petites filles parfaites. Je leur sortais les verres, les couverts, les serviettes et le bol de parmesan pour qu’elles aient tout à leur hauteur.


N’en prenez pas trop à la fois et ne courez pas !


Alors que les filles s’organisaient, Sasha revenait de la salle à manger avec une assiette. La force de l’habitude, j’avais pris un verre de plus moi aussi, mais je m’en suis rendue compte tout de suite. C’est que l’oncle des filles venait souvent manger à la maison et que du coup on était souvent cinq à table. Je ne pouvais m’empêcher de me demander comment ça se passait pour Lana en ce moment. Ils devaient être autour d’un feu de camp en ce moment et je ne pouvais qu’espérer que l’ambiance soit assez bonne pour qu’elle oublie un peu ses réticences et en profite à fond. Si je m’écoutais, je crois bien que j’essayerais de l’appeler, mais de une : elle va me trouver chiante et m’envoyer promener, de deux : y’a peu de chance que le signal passe là où elle est en ce moment.

J’étais un peu rêveuse donc, même si je ne perdais pas de vue la cuisson de la lasagne. Il y avait ce petit bouillonnement au centre de celle-ci qui annonçait qu’elle était à présent bien chaude de partout, je prenais donc des maniques pour sortir le plat du four que je venais d’éteindre et le bras de Sasha frôla tout à coup le mien. Je lui adressais un sourire et posais le plat chaud sur le plan de travail en granit. Maintenant il s’agissait de transvaser la lasagne dans le plat de présentation et je sortais deux palettes du tiroir, en tendant une à mon assistant préféré.


Attention, synchronisation, on se concentre !


J’aimais bien jouer les clowns, ça avait toujours fait partie de mon caractère, et là j’avais endossé le rôle de la chef face à un travail de précision ultime qui mettait toute sa concentration sur son oeuvre d’art. Oui bon... Si j’avais été un grand chef, y’aurait pas autant d’éclaboussures de sauce tomate un peu partout, mais c’est la faute de mes assistantes Monsieur le juge ! La lasagne avait rejoint son autre plat en un seul morceau et je levais la main vers mon assistant pour un «top là» bien mérité. On allait pouvoir passer à table et je crois que certains estomacs ne vont pas s’en plaindre. Certainement pas celui des jumelles qui, pendant l’attente, s’étaient amusées à se faire des chapeaux avec leurs serviettes. En les voyant, j’ai éclaté de rire, rejointe bien vite par les filles, fières de leur effet.


On en a fait pour vous aussi !

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Sasha & Martha


Il ne manquait plus que ça !  Nous voilà bons pour nous déguiser... Qui a eu la bonne idée de leur apprendre à faire des chapeaux en origami ?  Ah oui, pardon, c’est moi... Un moment de faiblesse sans doute.  Mais en même temps regardez-les, elles sont tellement contentes !  Ca me fait plaisir de les voir comme ça, parce que ces derniers temps, elles n’ont pas forcément été à la fête.  Le départ de leur père leur a fait énormément de mal, elles ont beaucoup pleuré, dans leur esprit de petites filles elles étaient responsables, papa était parti parce qu’il en avait marre parce qu’elles n’étaient pas assez sages.  Je ne vous raconte pas les heures que j’ai passé à leur enlever cette idée de la tête.  Les jumelles ont toujours été des petites filles hyper souriantes, qui rient pour un rien et s’amusent de tout, je me suis vraiment fait du souci quand elles se sont mises à déprimer comme ça.  Je crois que si un jour je recroise Eliott, je vais lui casser la figure de leur avoir infligé ça, d’avoir infligé une nouvelle douleur d’abandon à Lana, et de ne pas avoir les corones de me dire en face qu’il se barrait !  Enfin... Ne pensons pas à ce lâche, il a été bien trop présent dans nos esprits ces derniers temps et on a assez déprimé à cause de lui.  Tout ça, c’est derrière, aujourd’hui tout le monde est heureux, la table est en fête et c’est tout ce qui compte.


Une photo pour le bureau ?  Tu veux que les gens appellent un exorciste ?


Je pouffais, imaginant très bien le tableau.  «Qui êtes-vous et qu’avez-vous fait de Maître Tripps ?».  Jamais les gens ne croiront qu’il peut être comme ça et qu’il ne se force même pas.  Vous savez quoi ?  Tant mieux, j’ai pas envie de le partager.


C’est quoi un exotist, tonton ?


Alors que je découpais les parts, je laissais «tonton» répondre à cette question fort intéressante, curieuse de voir comment il allait s’y prendre pour expliquer ce qu’est un «exotist».  Mon chapeau improvisé sur la tête, j’enlevais celui des filles pour passer la serviette autour de leur cou.  Si je ne fais pas ça, elles vont en mettre partout et je peux carrément jeter leurs vêtements, autant éviter, hein ?  Un petit bisou sur le haut de leur tête et je sers les assiettes, m’installant ensuite à mon tour à table.


Bon appétit !


Mmmm !  J’ai faim !  Depuis le temps qu’on est dans les bonnes odeurs, mon appétit est affuté et j’ai l’impression que je pourrais manger des kilos de lasagne.  Il faut dire que la cuisine italienne et moi, on est super potes... Et je crois avoir refilé le virus à mes filles !  Chloé a déjà le tour de la bouche pleine de sauce tomate, Analyn se ressert en parmesan et en saupoudre généreusement sur le fromage gratiné de la préparation.  Evidemment, le compliment de leur oncle ne manqua pas de les faire sourire jusqu’aux oreilles !


Maman a dit qu’elle allait nous apprendre à faire du gâteau au chocolat !  Tu sais faire ça toi ?

Si tu sais pas tu peux le manger !

Oui, on en fera un plus gros pour toi !  Et si tu veux on t’apprendra !


Amusée, pendant que les filles discutaient de la taille du gâteau qu’elles avaient l’intention de faire, je m’étais penchée pour parler à l’oreille de Sasha.


Voilà comment on se retrouve avec une étiquette de morfale !

Sasha explosa de rire en entendant la remarque de Martha. Elle marquait un point ! Même plus qu’un, à vrai dire ! Au boulot, l’homme était strict et même – n’ayons pas peur des mots – sans pitié. Quiconque, en dehors de sa belle-sœur, le certifierait. Récemment, il avait été en charge d’une stagiaire, une jeune femme qui avait dû supporter son courroux et ses remarques désobligeantes. Sasha ne se montrait attentionné et délicat avec personne au travail ! Il n’était pas là pour ça. Il était donc vrai, que ses collègues tomberaient de bien haut s’ils voyaient une photo de lui et Martha munis de chapeaux improvisés, à faire les fous pour amuser les petites. Et comme leur mère avait employé un terme que les enfants ne comprenaient pas, Chloé se retourna vers son oncle et l’interrogea à ce propos. L’avocat resta un instant muet, un petit sourire gêné au coin des lèvres. Comment expliquer ce qu’était un exorciste à une enfant sans l’effrayer à vie ?

- C’est une excellente question ! Tu devrais la garder pour ta maîtresse à l’école !

Et oui, c’était un peu lâche, il fallait bien l’avouer ! Mais Sasha n’avait jamais eu d’enfants, il fallait l’excuser de ne pas être prêt à ce genre de surprise ! Il redoutait tellement fort le jour où les filles commenceraient à parler de bébés. Vu qu’il passait de plus en plus de temps chez Martha, il était fort probable que la conversation impliquant les graines et les fleurs se déroulent sous ses yeux et son hilarité le trahirait forcément ! Ils entamèrent le repas juste à temps pour qu’elles ne relancent pas de questions sur le sujet de l’exorcisme ! Maïtre Tripps, aussi encré dans la réalité soit-il, préférait éviter à ses nièces d’en connaître davantage sur ce genre de sujet. D’ici à ce qu’elle retrouve leur maîtresse, elles auraient oublié tout ceci ! Du moins, il l’espérait ! Sinon ... pauvre d’elle !

L’avocat hocha négativement de la tête quand sa nièce le questionna sur sa capacité à faire des gâteaux. Ce n’était d’ailleurs qu’à moitié vrai ! Avec un peu de motivation et du temps libre devant lui, Sasha parviendrait probablement à un résultat correct. Cela dit, le jour où il prendrait volontairement le temps de faire des gâteaux ... ça ne serait pas pour demain ! L’homme avait bien d’autres priorités. Passer du temps avec sa famille arrivait avant tout le reste et quand il avait le luxe, il s’autorisait aussi une petite pause. Le simple fait de regarder une émission débile à la télé ou un vieux film en noir et blanc, juste histoire de reposer les neurones et de songer à autre chose. Les fillettes prévoyaient de confectionner un Taj-Mahal en chocolat pour leur oncle, à les écouter parler ! D’ailleurs, Martha ne se gêna pas pour charrier son beau-frère à ce sujet en lui glissant un commentaire bien placé. Il esquissa un sourire et surenchérit, à voix haute pour que les petites l’entendent :

- Mais maman aussi va en vouloir ! Elle sera triste si vous ne lui faites pas un bien gros rien que pour elle !

Et voilà, l’idée était lancée et la sentence était irrévocable. Sasha tourna le regard vers sa belle-sœur, lui lançant un petit sourire moqueur qui signifiait clairement « bienvenue dans le clan des morfales ». Et tandis qu’il portait une nouvelle fourchette à la bouche, l’avocat se rappela qu’il allait très prochainement devoir faire le voyage jusqu’à New-York. En effet, s’il possédait son cabinet d’avocat à Pearl Trees, il était évident qu’il n’officiait pas que là ! Sinon, il ne pourrait certainement pas se payer tous les excès qu’il se permettait. Sasha devait assez souvent, se rendre dans la Grosse Pomme. Récemment, il avait souvent reporté à plus tard ou délégué, pour pouvoir rester avec Martha et les petites ! Malheureusement, le devoir l’appelait et il voulait préparer ses nièces lui-même, trouvant qu’il leur devait bien une explication. Contrairement à son frère Elliot, Sasha ne prenait pas la fuite sans un mot. Pour l’heure, mieux valait laisser ça de côté.

- J’ai même apporté une petite surprise !

Sasha ne serait définitivement jamais capable de ne pas gâter ses nièces ! C’était aussi ça, le rôle d’un bon tonton ! Il déposa ses couverts et se leva de table, ayant terminé son assiette, il rejoignit sa voiture et sortit un paquet du coffre. Quelque chose qu’il avait prévu d’offrir à ses nièces depuis longtemps. Les fêtes de fin d’année approchant à grands pas, l’homme était impatient de combler ses proches de bonheur et de cadeaux. Il revint à l’intérieur, la boîte carrée et de taille moyenne. Il la déposa sur le canapé et revint s’asseoir à table, sachant bien que Martha et les petites se demanderaient ce qu’il leur avait réservé comme surprise.

- On attend la fin de la soirée pour l’ouvrir, c’est plus poli !

Les mettre au supplice le faisait rire ! Voir leur air impatient et leur mine déterminée l’amusait. Même Martha semblait curieuse. Sasha était content d’avoir obtenu l’effet désiré.

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Sasha & Martha


Elles étaient terribles ces deux là ! Toute occasion était bonne pour passer un maximum de temps avec leur oncle. Je dois dire que Sasha est vraiment doué avec les gosses, j’en veux pour preuve que Lana l’adore et que contrairement à moi, il sait lui faire entendre raison. Chloé et Analyn ont perdu leur repère, elles ont besoin d’une figure paternelle et leur oncle s’est tellement bien occupé d’elles qu’il était logique que cette place lui soit déchue. Je regardais les échanges entre eux avec plein d’émotion dans les yeux. J’étais terriblement reconnaissante envers cet homme de tout ce qu’il avait fait pour nous. Il n’était pas obligé et avait fait bien plus que n’importe qui d’autre l’aurait fait. Et voilà que maintenant les filles voulaient lui apprendre à cuisiner... L’idée était assez amusante et à défaut de sauce tomate, cette fois ça sera de la farine qu’on va retrouver partout dans la cuisine ! Et elles semblaient vraiment y tenir à cette idée de gâteau... Tous les arguments y passaient, et bien entendu les meilleurs étaient ceux qui faisaient appel à notre côté sentimental. Petites malignes va !


Quoi ? Non mais dis que je suis gourmande tant que tu y es !


Je prenais un air terriblement choqué et faisais un clin d’oeil complice à Sasha qui ne pouvait décidément pas décliner l’invitation. Encore une sacrée soirée en perspective, une qui va venir s’ajouter aux nombreuses qu’on a déjà partagé depuis le départ de mon époux. Mais pour l’heure, les assiettes se vidaient. On entendait le bruit des couverts dans les assiettes et ça c’est toujours bon signe, ça veut dire que les gens se régalement. Remarquez difficile de se louper avec une lasagne, c’est hyper simple à préparer et je ne connais personne qui n’aime pas ça. Je reversais de l’eau fraîche dans les verres de Chloé et Analyn, un peu de vin dans les nôtres, et interrompais mon geste alors que j’allais en boire une gorgée.


Une surprise ? Mais...

OUAAAAAIIIISSS !!!! Une surprise !!!!

COOOOOOOOOOOL !!!!!

C’est quoi, c’est quoi ???

Hop hop hop ! On reste à table et on finit son assiette ! ... Sasha ?


Il était déjà dehors, filant comme une anguille jusqu’à sa voiture. Je veillais à ce que les filles terminent ce qu’elles devaient encore manger, surveillant par la même occasion la porte d’entrée avec curiosité. Qu’est-ce qu’il avait manigancé ?


Tu sais c’est quoi la surprise, maman ?

Non chérie, je ne sais pas, je vais le découvrir en même temps que vous.


Je levais les yeux vers Sasha qui venait de rentrer et qui déposait son colis sur le canapé du salon. Je plissais un peu les yeux, l’air de dire «Mais qu’est-ce que tu as encore fabriqué ?», puis je secouais la tête avec amusement.


Tu es un vrai sadique !


Ce n’était pas la première fois qu’il leur faisait des cadeaux, très loin de là. Il a toujours aimé gâter ses nièces, d’ailleurs vous pouvez remarquer qu’à chaque fois, il a des étoiles dans les yeux, encore plus qu’elles quand elles déballent leur cadeau. Vous voyez, à cet instant précis, je regrette clairement qu’il ne soit pas leur père. On veut toujours le meilleur pour ses enfants, et Sasha est de loin la meilleure chose qu’on ait dans notre vie, aussi bien pour les jumelles, Lana, et moi. Je regardais avec un sourire les filles négocier pour pouvoir ouvrir leur surprise, levant leurs assiettes vides comme des trophées.


La vaisselle d’abord, allez hop !


Je les connais, si on ne s’occupe pas de ça avant, elles vont être tellement excitées qu’elles ne s’y mettront jamais. Tandis que là, elles veulent en finir vite avec cette corvée et sont prêtes à mettre toute leur énergie dans la bataille pour que ça soit finit le plus rapidement possible.


Chloé !


Quelle canaille celle-là ! Elle était en train de s’approcher doucement de la boîte et sa main n’était plus qu’à quelques centimètres quand ma voix l’a fait sursauter. Elle prend son air de chien battu et revient vers la salle à manger pour prendre de nouvelles choses à laver. Les filles essuient, je lave, et Sasha est commis au café. Une vraie petite organisation qui s’est mise en place le plus naturellement du monde, chacun sachant ce qu’il doit faire.


Dis oncle Sasha, ta surprise c’est aussi pour Lana ?

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Sasha & Martha


A vrai dire, je m’attendais à tout et n’importe quoi. Je n’avais vraiment aucune idée de ce que Sasha avait manigancé et cette boîte m’intriguait au moins autant qu’elle intriguait les jumelles. Moi aussi j’étais impatiente de savoir ce qu’elle refermait, mais je devais garder mon rôle de maman et avant toute chose, il fallait faire la vaisselle et tout ranger. Je faisais toujours mon possible pour qu’elles respectent les règles établies, ça me semblait important de ne pas leur lâcher la bride à cause du départ de leur père, ça ne serait pas leur rendre service. Quand Sasha répondit que la surprise concernait également Lana, j’avoue que j’étais encore plus intriguée. Quelque chose qui conviendrait aux trois filles malgré la différence d’âge ? Qu’est-ce que ça pouvait bien être ? Du coup j’avais envie de tricher, comme Chloé tout à l’heure, je ne tenais plus, il me fallait savoir ce que ce paquet renfermait ! Heureusement la vaisselle était faite et la cuisine avait retrouvé son aspect propre et rangé.


Bon allez, filez ouvrir votre cadeau !


Les jumelles ont carrément cavalé en criant leur enthousiasme jusqu’au salon et se sont jetées sur le paquet pour le déballer. Je me plaçais à côté de Sasha pendant qu’elles détruisait le papier cadeau, tout ça pour se retrouver devant… Un paquet de lessive ? J’écarquillais un peu les yeux sous la surprise et tournais la tête pour regarder l’instigateur de cette bonne blague. Un « quoi ? » se formait sur mes lèvres et vous savez quoi ? Et bien il était mort de rire ! Remarquez à voir la tête que faisaient les filles devant le paquet de lessive, je le rejoignais bien vite dans son hilarité ! Elles devaient franchement être dépitées et se demander pourquoi leur oncle avait décidé de leur offrir ce genre de chose.


Venez remercier votre oncle les filles.

Merci oncle chacha !

Merci c’est gentil.


Bon sang elles sont vraiment adorables. Pourtant elles sont super déçues, ça se voit, et malgré tout elles essaient de faire bonne figure. J’étais vraiment fière d’elles en cet instant, et elles méritaient bien d’avoir leur vrai cadeau, qui restait toujours un mystère pour moi. De ce que j’avais vu, le paquet semblait très léger. C’est un indice, mais un indice qui ne me dit pas grand chose malgré tout. Alors quand Sasha leur a demandé si elles ne regardaient pas à l’intérieur, je me suis approchée, curieuse, pour découvrir en même temps qu’elles ce qui se trouvait dans la boîte. Et quand elles en ont extirpé des morceaux de papier rectangulaires aux couleurs de Noël avec la tête de Mickey en plein centre, j’ai immédiatement compris de quoi il s’agissait. Elles par contre, elles étaient un peu hésitantes, comme si elles avaient peur de se tromper. Elles ont toutes les deux levé leurs yeux vers leur oncle pour l’interroger du regard et une fois qu’il a confirmé leurs espérances, je ne vous raconte pas le boucan que ça a fait !

Elles se sont toutes les deux mises à sauter partout en criant des « ouaiiiiiis ! » plus qu’enthousiastes. Puis elles se sont jetées sur l’avocat, chacune accrochant une de ses jambes en continuant, bien entendu, de sauter sur place. De vrais petits singes ! J’étais carrément morte de rire et, bien évidemment, ravie de les voir si heureuses. C’est vrai que leur père leur avait toujours promis qu’on irait un jour dans ce parc d’attraction, mais ça ne s’était jamais fait… Jusque là.


On va aller à Disneyland, on va aller à Disneyland !

Dis on va dormir dans le château de la belle au bois dormant ?


Oh la la, ça y est… Pauvre Sasha ! Elles vont commencer à lui poser des tonnes de questions ! A coup sûr jusqu’au week-end prochain elles ne vont parler que de ça et je sens bien qu’on va se faire une petite séance de rattrapage version classiques en DVD ! Remarquez, je préfère ça aux films japonais en VO que lui va devoir se taper avec Lana ! D’ailleurs en parlant d’elle…


Tu crois vraiment que Lana voudra nous accompagner ?


L’adolescente rebelle, à Disneyland, avec sa belle-mère qu’elle déteste, ses demi-soeurs et son oncle… Je n’étais pas sûre qu’elle réagisse aussi bien que les petites malheureusement. Elles par contre, étaient plus que ravies. Elles ont passé le reste de la soirée à interroger Sasha sur ce qu’ils allaient faire, si Mickey vivait vraiment là, si elles allaient voir le Père Noël comme dans la pub qu’on voit à la télé… A ça pour sûr, y’avait de l’ambiance ! Heureusement à leur âge, on se couche tôt. Après un gros câlin à leur oncle, je les ai accompagnées jusqu’à leur chambre en utilisant pour prétexte que plus vite elles dormaient, plus vite le temps passait ! Elles ont été plutôt d’accord avec mon raisonnement et après un gros câlin (pour moi cette fois !), elles se sont glissées sous leurs couettes, heureuses comme jamais.

J’éteignais la lumière et fermais doucement la porte pour ensuite rejoindre l’homme de la soirée dans le salon. Je le pointais d’un doigt accusateur, comme si j’étais fâchée contre lui, mais je n’ai pas pu jouer cette comédie bien longtemps. Au bout de quelques secondes, un sourire illuminait mon visage et j’allais vers lui pour me blottir dans ses bras.


Tu es vraiment un gars en or… je ne sais pas comment te remercier.


Je redressais alors un peu la tête pour le regarder, les yeux remplis d’émotions. Les choses étaient de plus en plus évidentes… Je m’étais vraiment trompé de frère.

For a While

Sasha & Martha


Parfois la vie me semble difficile. Quand je me dispute avec Lana, quand les jumelles sont survoltées et ont décidé de ne pas obéir, quand je suis à la table du salon en train de m’occuper de la comptabilité du foyer dans un silence de mort parce que Lana est sortie et que les filles sont déjà au lit, quand je vois la chaise vide qu’Eliott a laissé à table ou quand je rentre et qu’il n’y a personne pour m’accueillir. Etre une mère célibataire n’était pas dans mes projets et oui, je m’en sortais, mais ce n’est pas pour ça que j’ai le sourire tout le temps non plus. J’avance, jour après jour, avec une tripotée de regrets, mais en me disant que je n’ai pas le droit de me plaindre parce que je suis en bonne santé, mes enfants aussi, on vit dans une belle maison, j’ai un job… Je suis bien mieux lotie que beaucoup de gens et dans ce genre de situation, on n’a pas le droit d’être malheureux.

J’aime quand Sasha vient à la maison parce que dans ce cas, c’est beaucoup plus facile pour moi d’oublier tous mes problèmes. C’est comme s’ils s’envolaient d’un coup de baguette magique, juste parce qu’il est là et qu’il est lui, dans une exubérance qui lui est propre, avec tout l’amour qu’il a pour mes enfants et ce côté rassurant qu’il apporte avec lui et qui me fait penser que non, je ne suis pas seule pour faire face. Je sais que les choses n’ont pas été faciles pour lui non plus, il aime énormément son frère et il l’a profondément déçu, ça ne doit pas être évident à gérer… Mais il reste ce roc auquel on peut s’accrocher en cas de besoin et il continue de veiller sur nous envers et contre tout. Alors oui, c’est un gars en or, je n’en aurai pas assez de toute ma vie pour le remercier de tout ce qu’il a fait pour moi, pour nous, et je suis prête à le répéter autant de fois qu’il le faudra pour qu’il trouve naturel de l’entendre.


Survivante de l’année plutôt, non ?


C’était plutôt ça, effectivement. Je survivais comme je pouvais. Ce n’était pas simple de tout gérer seul, des factures à la voiture qu’il faut emmener à l’entretien, à la télé qui tombe en panne, aux courses alimentaires, aux cours extra-scolaires des enfants, le travail, le ménage, les crises d’adolescence… J’ai l’impression de ne plus vraiment être moi parce que je n’en ai pas le temps. Regardez mon chemisier taché de sauce tomates… C’est pas du tout le genre de chose qui m’aurait fait hurler à la mort, mais dans une ancienne vie, j’aurais pris le temps d’aller me changer. Je me sens carrément pathétique parfois, pas à la hauteur de la tâche. Je suis loin d’être une super woman et sans Sasha, je sais que je ne m’en sortirais pas. Je sais tout ce que je lui dois, et ce n’est pas rien, croyez-moi.

L’espace d’un instant, nos regards échangent quelque chose qu’ils n’avaient jamais échangé jusque là. Ca a été trop rapide pour que j’en prenne véritablement conscience, comme un message subliminal qui aurait été partagé. Installée contre lui dans le fauteuil, je n’ai pas envie de bouger, je crois que je pourrais rester comme ça jusqu’au matin, mais déjà il parle de s’en aller. Je n’en ai pas envie… Je n’ai pas du tout envie qu’il parte. Quand il aura franchi cette porte, je vais me retrouver seule et comme il est trop tôt pour aller dormir quand on n’est plus un enfant, je vais faire comme je fais chaque soir, allumer la télé, zapper sur des programmes plus chiants et stupides les uns que les autres pour finir par m’endormir devant le téléachat. J’ai envie de lui demander de rester encore, mais ça va faire bizarre si je lui demande ça, non ? Et puis il en fait déjà tellement… Je n’ai pas envie de l’emmerder à jouer à la sangsue.

Alors qu’il me serrait un peu plus fort contre lui et posait un baiser chaste sur mon front, je posais ma joue sur son torse et fermais les yeux l’espace d’un instant. Oh oui, j’étais bien, je voulais égoïstement en profiter encore quelques secondes, juste quelques petites secondes avant de redresser la tête et de m’écarter un peu pour le laisser prendre la bouteille de vin et nous en reservir un verre.


Tu sais l’autre jour je suis allée chez mes parents avec les filles et pendant qu’elles étaient avec papa, maman et moi on discutait, elle m’a dit que je devais terriblement regretter d’avoir rencontré Eliott. J’ai d’abord hoché la tête, parce que oui, effectivement, j’aurais voulu ne pas vivre ces moments difficiles. Et puis je me suis dit… Non, je ne regrette pas. Je ne peux pas regretter parce que finalement ce mariage m’aura apporté des choses positives. J’ai pensé aux enfants, et à toi. Vous ne seriez pas dans ma vie sans Eliott. C’est là que j’ai réalisé que j’avais définitivement tiré un trait sur lui. Ca a été un choc, parce que je pensais que malgré ma colère, je devais quand même l’aimer encore. Mais non, tout amour pour lui a disparu… D’un côté ça a été un soulagement de m’en rendre compte parce que ça me libérait, mais d’un autre côté… Depuis que j’ai réalisé ça je culpabilise, comme si c’était mal d’avoir tiré un trait aussi vite. Tu crois que c’est mal de réagir comme ça ?

For a While

Sasha & Martha


Quelle femme ne culpabiliserait pas face à cette situation ?  Je n’avais pas épousé Eliott sur un coup de tête, je l’aimais sincèrement et je n’avais jamais envisagé de le quitter.  On avait des hauts et des bas, mais ça c’est comme tous les couples, pas plus, pas moins.  Son départ avait été pour moi un véritable choc, et je n’avais pas vraiment eu l’occasion de travailler sur le deuil que je devais faire de notre relation parce que je devais m’occuper des enfants en priorité.  Elles étaient trois à avoir besoin de moi, même si Lana me repoussait et refusait de l’avouer, je savais que je devais être présente pour elle aussi.  On vivait à quatre dans cette maison et s’il manquait Eliott, on formait toujours une famille, c’était important de conserver ce contexte.

Je l’ai maudit d’être parti comme ça…  S’il voulait qu’on se sépare, pourquoi ne pas simplement me le dire franco ?  On aurait divorcé, il aurait conservé un lien avec les enfants…  Qu’il ne veuille plus me voir est une chose, mais qu’il abandonne ses trois filles, ça me va vraiment loin et je ne peux pas comprendre ça… Elles sont la prunelle de mes yeux, même cette ado rebelle que je n’ai pas mise au monde mais que j’aime comme une fille.  Je crois que s’il était revenu il y a deux ou trois semaines de ça, je lui aurai sauté dessus… Pas pour l’embrasser, pas par soulagement, mais par colère.  Oui, je crois que je me serais défoulée, que je lui aurais mis mon poing dans la figure et que je lui aurais hurlé toute ma rage, toute la peine qu’il nous avait fait.  Ca fait mal de se faire abandonner par quelqu’un qu’on aime.

Mais aujourd’hui, je réalise que j’ai tourné la page, sans même m’en rendre compte.  Je ne sais pas quand ou comment c’est arrivé, mais je suis passée à autre chose, Eliott fait partie de mon passé pour de bon et l’amour que j’avais pour lui s’est éteint, irrémédiablement.  Et le noeud du problème est là, je me demande si c’est normal.  C’est que je me dis que ça a été si rapide !  Comme si ça avait été simple d’effacer cet amour de mon esprit.  Logique que je lui en veuille mais je me dis que ça aurait dû prendre plus de temps pour que l’amour s’efface comme ça.  J’ai l’impression d’être instable, de ne pas être loyale.  C’est un sentiment désagréable, et qui mieux que Sasha peut me comprendre si je lui en parle ?  Il a toujours été là pour moi, je sais que je peux tout lui confier et que l’avis qu’il me donnera sera juste et non complaisant.

Mais si ma colère s’est apaisée pour laisser la place à une étrange indifférence, il n’en était pas de même pour lui.  Je sentais Sasha bouillir en me répondant que je n’avais pas à culpabiliser.  C’est vrai, ce que nous avait fait Eliott était impardonnable et son retour n’aurait en aucun cas pu mener à une réconciliation vu la façon égoïste et irrespectueuse dont il avait usé pour partir…  Et l’aimer, aussi terre à terre que ça puisse sembler quand on le dit, ça n’aurait de toute façon servi à rien d’autre que d’attiser le chagrin.  Effectivement, s’il était parti d’une façon différente, peut être que je l’aimerais encore aujourd’hui et que je vivrais toujours dans le regret de cet échec.  Entendre les mots rassurants de Sasha m’avait fait du bien, mais en même temps ça m’avait pas mal secouée, même si c’était dans le bon sens.  Alors qu’il se levait pour faire les cent pas, je me levais également pour aller chercher un Kleenex et sécher rapidement une larme qui avait coulé avant de reporter mon regard sur Sasha qui me souriait.


Je ne sais pas si je suis si forte que ça tu sais… Il fallait bien que je reste debout pour les filles et tu m’as énormément aidée.


Depuis le début, il avait été là.  La première fois que nous nous étions rencontrés, j’avais ressenti une profonde sympathie pour mon beau-frère.  Pourtant on m’avait dit les pires horreurs sur lui, qu’il était un bourreau de travail désagréable et fermé, colérique et mal embouché, un ours qui n’aimait personne.  Je n’ai jamais vu ce côté là de lui, le courant est passé immédiatement et je me suis toujours sentie très bien en sa compagnie.  J’aimais quand il venait à la maison, voir les liens qu’il avait avec sa nièce, puis ceux qu’il construisait avec les jumelles… Et quand Eliott a déserté, il a été le premier à tout faire pour limiter l’impact que ça avait sur nous.  Il m’a offert ce job pour que je n’ai pas à vendre la maison où mes filles avaient grandit, il m’avait écoutée quand j’avais besoin de m’épancher.  En fait j’ai l’impression qu’il m’a portée et que je n’ai aucun mérite d’y être arrivée tant il a été présent.  Mais lui ne semblait pas être de cet avis.  Ses mains imposantes se sont posées sur mes épaules, comme pour apporter plus de poids à ses paroles.  Son regard était direct et ne laissait planer aucun doute.  Cet élan me faisait chaud au coeur, comme toujours il était parvenu à me rassurer en quelques mots.  Je lui adressais un sourire presque timide et c’est là que tout a basculé.

Soudain je me suis sentie attirée et mon corps s’est écrasé contre le sien.  Ses lèvres ont trouvé les miennes et elles se sont soudées.  Mon coeur a raté un battement, puis il s’est accéléré pour battre la chamade.  Je suis incapable de vous dire combien de temps ça a duré… Mais j’avais un goût de trop peu quand il s’est reculé.  Cette sensation que j’avais éprouvée était indéfinissable, mais tout ce que je peux dire, c’est que c’était agréable, rassurant, passionnant… Que ça me mettait le rose aux joues et un sourire idiot sur le visage.  Je me sentais bien.  Un peu étourdie, surprise… Mais terriblement bien.  Sasha s’excuse, fait un pas en arrière.  L’espace de quelques secondes je reste figée…  Qu’est-ce que je dois faire ?  Qu’est-ce que je dois dire ?  Qu’est-ce que je dois penser ?  Je ne sais pas ce que je devrais penser, mais ce qui me vient là tout de suite, c’est que si j’avais rencontré les deux frères en même temps, je ne suis vraiment pas sûre que j’aurais fini dans les bras d’Eliott.  Ce que je ressens là tout de suite, c’est que j’ai aimé ce qui vient de se passer, et que je ne culpabilisais pas pour ça.  Alors j’ai fait un pas en avant pour réduire la distance que Sasha venait de mettre entre nous, glissé ma main dans la sienne et entrelacé nos doigts, posé mon autre main sur sa nuque et me suis hissée pour m’approcher un peu plus.


Moi je ne suis pas désolée… J’en ai marre d’être désolée pour tout…


A mon tour je fondais sur ses lèvres, et en cet instant idyllique où le temps semblait s’arrêter, je ne ressentais pas la moindre culpabilité… Pas la moindre.

For a While

Sasha & Martha


Celle-là vous voyez, je ne l’avais pas vue venir. Si on m’avait dit que Sasha m’embrasserait un jour, je n’y aurais pas cru, et pourtant c’est exactement ce qu’il vient de faire. Je suis plutôt décontenancée, surprise par cet élan soudain, mais je ne vais pas vous le cacher : j’ai adoré ce baiser, bien plus que je n’aurais pu imaginer aimer un baiser un jour. Ca fait quelques temps que l’idée vient frapper à ma porte de temps en temps, mais cette fois je l’ai laissée entrer pour de bon pour se révéler entièrement et le plus clairement du monde : j’aime Sasha. Voilà, c’est dit, c’est posé, il n’y a plus de « peut être que » ou de « il me semble »… Aucun de nous n’a jamais cherché ce qui est arrivé, tout s’est fait le plus naturellement du monde envers et contre nous. C’est le genre de force qu’on ne peut pas combattre et vous avale tout entier, qu’on soit raisonnable ou non. D’ailleurs qu’est-ce qui est déraisonnable dans tout ça ? Qu’est-ce qui est mal ? Eliott m’a quittée, les enfants n’ont plus de père parce que du jour au lendemain il a fait ses valises et quitté la maison et la vie de ses habitants. Je suis en instance de divorce, lui est célibataire et n’entretient pas de relation suivie… On ne peut pas dire qu’il trahit son frère puisque c’est lui-même qui est parti. Nous sommes deux adultes libres et consentants, mes filles sont folles de leur oncle… Alors je décide de ne pas m’excuser, et le rose aux joues, je l’embrasse à mon tour.

C’est bon… Je profite de chaque seconde de ce baiser et me serre tout contre lui. Sa chaleur me fait du bien, j’ai l’impression d’être à nouveau vivante, d’exister aussi pour moi. Je me sens en sécurité, Sasha réveille tant d’émotions positives que j’ai l’impression de rêver éveillée. Quand le baiser prend fin, je garde les yeux fermés un moment, comme pour graver l’instant tandis que ses mains entourent mon visage. J’entends sa voix, mes yeux s’ouvrent et je le fixe, indécise. Aller doucement pour les enfants ? Il me faut quelques secondes pour tout remettre dans l’ordre. Lui, il hoche la tête et moi je… Je ne sais pas… Je ne sais pas du tout quel air j’ai parce que je crois que je n’ai pas encore vraiment atterri. Pourtant il faudrait. Doucement mes mains se posent sur les siennes, j’ouvre la bouche mais comme je n’ai pas décidé de ce que je voulais lui répondre, je la referme, juste avant que ses lèvres ne rejoignent les miennes à nouveau. Aller doucement pour les enfants… Est-ce que c’est ce que je veux ? Est-ce que c’est ce que lui, veut ? Est-ce que c’est vraiment ce qu’il y a de mieux à faire ? Tant de questions tourbillonnent dans ma tête… Mais quand il prend la parole à nouveau après ce troisième baiser échangé en l’espace de deux minutes, j’en ai fini de réfléchir. Je le rends dingue, il vient de me le dire, et il me rend dingue lui aussi. Les filles l’aiment, tout va bien, nous ne faisons de mal à personne, nous ne trompons personne…

Je prends la main tendue et le suis silencieusement jusqu’à ma chambre. Les vêtements tombent un par un sur le sol sans que nos lèvres se détachent et son corps finit par écraser le mien sur le lit. Je sais que je vais vous sembler nunuche en disant ça, mais tant pis, j’assume : ce qui se passe dans cette chambre est tout simplement magnifique, ça n’a rien de sale ou de vulgaire, même si c’est intense et parfois passionné… Ce sont des sentiments qui explosent dans leur plus belle expression, c’est de la sincérité à l’état pur, des sourires qui s’échangent, des regards qui s’accrochent, des peaux qui se touchent, des mains qui caressent et des coeurs qui s’emballent. Les amants ont été insatiables, car c’est le milieu de la nuit quand les corps semblent enfin se reposer. Sasha est sur le dos et je suis venue poser ma joue sur son torse. Je me sens terriblement bien, comblée… Je n’arrive pas à croire à ce qui vient de se passer pourtant c’est bel et bien réel et comme dit la chanson, non, je ne regrette rien. Ca devait arriver, c’était inéluctable.


J’ai l’impression que ce qui vient de se passer est la chose la plus naturelle du monde…