Rebecca ouvrit la porte de la maison, et soudain, elle se sentit délivrée du poids des tracas de la vie quotidienne. C’est bien simple, chaque fois qu’elle passait le seuil de son chez elle, elle laissait sur le palier les ennuis et les soucis qui la prenaient en filature sitôt qu’elle mettait un pied dehors. Ici, elle était bien. Pas besoin de se compliquer la vie. Tout était si simple. Et c’était cela, aussi, qu’elle aimait. Ici, elle avait tout ce dont elle avait toujours rêvé. Plus encore, même ! Elle avait son fabuleux mari, et ses deux enfants ! Elle aimait sa famille comme il n’était pas permis d’aimer ! Elle n’avait aucun remord dans sa vie. Quelques regrets, tout au plus, mais ce n’était rien face à la joie que lui apportait sa petite famille.

Elle ôta ses escarpins et entra pieds nus. Le carrelage immaculé de l’entrée était froid, mais elle s’en moquait. Elle ôta son manteau, qu’elle rangea soigneusement dans la penderie, avant de se diriger, vêtue d’une robe noire, très simple, jusqu’au bar. Elle sortit un verre de vin et une bouteille, et le remplit. Non, elle ne s’amusait pas à cela tous les jours. Mais là, maintenant, elle en avait besoin. Son mari avait insisté pour qu’ils viennent en aide à un jeune. Elle, elle avait hésité. Le dossier du dénommé London était resté longtemps sur sa table chevet, fermé. Elle n’avait pas envie de l’ouvrir. Pas envie de savoir ce qu’il contenait. Peur. Oui, elle avait peur. Peur de ce qu’il pouvait renfermer. Et pourtant…Un soir, la curiosité fut plus forte que tout le reste. Et c’est alors qu’elle s’était plongée dans l’épais dossier. Beaucoup de blablas administratifs, en fait. La feuille qu’il fallait que le couple remplisse pour pouvoir demander d’accueillir le jeune homme, les photocopies de ses papiers, et tout le tintouin. Rien de bien folichon, effectivement. A travers les lignes rédigées d’un point de vue machinal, et non sentimental, on pouvait ressentir un profond malaise. La personne qui avait écrit cela n’avait pas cherché à en savoir plus sur ce fameux London. Et peut-être qu’elle-même n’aurait pas du. Pourquoi vouloir connaître le passé, le présent, et chercher à faire parti du futur d’un jeune homme qui avait déjà fait un petit séjour en prison ?
Pourquoi avait-elle finalement cédé à son époux ? Elle n’aurait su le dire. En fait, elle avait craqué, d’une certaine manière. Il l’avait pris par les sentiments, un soir, alors qu’ils se disputaient à nouveau pour cela. « Essaies » avait-il dit de sa voix qui finissait toujours par la faire céder. Tout en disant que si ça n’allait pas, ils pourraient toujours se rétracter. Parfois, lorsqu’il parlait des gens, il s’exprimait si étrangement qu’on aurait dit qu’il parlait de machines. Comme si ce gosse était sous garantie. « Excusez-moi, je vous le rapporte. On ne m’avait pas dit qu’il pouvait tenter de violer ma fille » ou encore « Je pense qu’il est défectueux. Il ne fait pas ce que je lui demande. Je veux un remboursement. J’ai encore le ticket de caisse. » Quand on s’engageait sur ce genre de terrain, à mon avis, c’était pour un petit moment. Et le petit doigt de Rebecca lui disait que ce n’était pas eux qui décideraient quand cela aurait une fin.

Et voilà. Voilà où elle en était réduite, aujourd’hui. Elle accueillait un « ex taulard », comme avait dit son frère. Ah lui d’ailleurs. Il faudrait peut être essayer de voir comment il allait, non ? Pfeuh. Prendre des nouvelles. Non. Pas maintenant. Pas alors que les enfants allaient rentrer. Elle ne voulait pas le présenter tout de suite à London. C’est que son frère était un sacré gaffeur, et qu’il ne mâchait pas ses mots. Il essayait toujours de détendre l’atmosphère, quitte à devenir lourd. Très lourd. Et elle n’avait pas envie que ce gosse se montre blessant avec son aîné.
Alors qu’elle trempait ses lèvres dans la coupe, la porte de l’entrée s’ouvrit, et elle passa la tête par l’embrasure, pour constater justement qu’il s’agissait de London. Oh ! Elle posa aussitôt son verre sur le comptoir et le hélait.

▬ Oh ! London !

Pas question qu’il file. Il fallait qu’elle lui parle un peu. Son côté psy ressortait un peu oui. Elle arriva en trottinant, un petit sourire forcé aux lèvres. Pas le choix pour l’instant, hein. Elle devait se forcer, ne pas le mettre mal à l’aise. Aller, tout se passerait bien, non ?