Encore une journée de perdue, huit heures à rester assis à écouter des adultes persuadés de connaître tout sur tout et tenant désespérément de nous apprendre la vie, de nous "lancer" comme ils aimaient le dire grâce à un "bagage" qu'il nous enseignant. Il les ferait bien ses bagages lui, se casser de là et de cette ville minable qui ne lui apporte rien. Affalé dans sa chaise, les pieds sur la table, London faisait sa vie sans se préoccuper du cours ni même de ses camarades. Il n'accordait absolument aucune importance à ce que les professeurs avaient à leur apprendre, persuadé que la vraie vie se situait en dehors de ces quatre murs. Malheureusement pour lui, si la cloche retentissait, ça ne signifiait pas la fin du calvaire pour lui... Sa sortie de prison lui avait valu un contrat de travail et de présence au lycée et il était dans l'obligation de réussir ses examens sans quoi il retrouverait une cellule dès la fin de l'année scolaire. Mais les règles, le garçon ne s'en souciait guère, et bien que l'idée d'être enfermé à nouveau ne l'enchantait guère, il n'arrivait pas à trouver le courage et la motivation nécessaire qui lui permettraient de sortir la tête de l'eau. A vrai dire, ça le rendait malade qu'on lui enseigne tout ça assis à une table alors que la culture se trouvait dehors, dans la nature, dans les musées, éventuellement dans les bouquins mais clairement pas dans la bouche de ces je-sais-tout.

Dans la vie, London n'avait jamais rien fait comme les autres et sa scolarité ne dérogeait pas à la règle, ses diverses incarcérations lui avaient fait redoubler deux fois le lycée et il se sentait complètement étranger à tous ces élèves bien plus jeunes que lui, ne venant pas du même monde. Comment trouver l'envie de franchir les portes de l'école quand les autres passaient leur journée à le dévisager, à parler dans son dos et à fuir sa présence. Il s'y était habitué, il vivait avec et il avait trouvé son équilibre en quelques sorte. Quand les autres se retrouvaient dans les couloirs, dans le parc, il se réfugiait dans la salle de musique et mettait ses tripes dans son art. De toute façon, il n'aimait pas se mêler aux autres, il n'avait ni le temps, ni l'envie, ni même la patience pour eux, écouter leurs problèmes futiles et leurs angoisses pathétiques, non merci. Et s'il venait à quiconque l'envie de lui chercher des noises, London n'avait aucun problème à sortir les griffes. La violence, il ne connaissait qu'elle, elle avait été sa meilleure amie quand certains soirs il avait à dormir dehors et qu'on le menaçait, quand il s'était retrouvé seul contre le monde... car oui, telle était sa vision de lui-même, il se battait contre tous les jugements, les aprioris et la connerie humaine.

Mais ce soir-là, au lieu d'aller vaguer à ses occupations, à ses vadrouilles dans la ville, il devait faire des heures supplémentaires au lycée afin de rattraper son retard et ses notes catastrophiques et finalement obtenir son diplôme de fin d'année. C'était le principal lui-même qui l'avait convoqué le matin même pour lui annoncer la suite des réjouissances et le programme de ses heures de tutorat obligatoires. On ne lui avait pas laissé le choix et ça le rendait malade, il avait dû s'écraser, subir. Lorsque la sonnerie retentit, il attrapa le papier qu'on lui avait donné quelques heures plus tôt et consulta le planning. "Salle 207, avec... Rosie Foster. Oh non pitié, en plus on m'envoie la petite fille de bonne famille. Tirez-moi une balle à la place non ?" finit-il se parlant à lui-même. Il monta à l'étage et s'assit sur une table de la pièce encore vide, les deux pieds sur la chaise de devant. Si elle n'était pas là dans deux minutes, il prenait ses clics et ses clacs, les choses étaient claires. De toute façon, qui voudrait donner des leçons au fauteur de troubles de la ville ? Secouant la tête, il était prêt à renoncer et à se tirer du bahut quand une silhouette fit son apparition à la porte et obligea London à faire demi-tour et regagner sa chaise.

« Tu viens avec nous, Rosie ? » Ils avaient visiblement planifié sans elle une sortie quelconque, mais elle poussa un soupir et secoua légèrement la tête. « J'ai du tutorat, ce soir. » Rosie adorait aider les autres en général, mais cette fois-ci, elle était persuadée d'avance que ses leçons particulières ne donneraient rien. Elle y avait réfléchi toute la journée, elle avait ressassé encore et encore le problème dans sa tête, mais il n'y avait bel et bien aucune solution. Elle en était presque venue à espérer qu'il ne viendrait pas, qu'il aurait autre chose à faire et qu'il n'avait pas cru bon de l'avertir. Elle aimait aider, mais les étudiants devaient d'abord accepter son aide, ce qui n'était pas chose facile avec certains d'entre eux. Elle ne voyait pas ce qu'elle pouvait faire de plus s'il décidait de rester là à ne rien faire, les bras croisés en espérant que l'heure finirait par passer vite. Elle avait bel et bien préparer quelques petites choses, mais elle ne connaissait pas vraiment son niveau et si son but premier n'était pas d'atténuer la douleur que pouvaient certainement causer à son ego des séances de cours particuliers, elle ne cherchait pas non plus à le terrifier. Elle ne connaissait pas grand chose sur lui, en fin de compte, puisque tout ce qu'elle savait semblait provenir de la bouche de ceux qui n'avaient que ça à faire, colporter des ragots. Rosie avait toujours refusé de prendre pour acquis ce genre de rumeurs, mais elle devait avouer que le passé chaotique de London n'aidait en rien sa cause. Elle le voyait aller, dans les couloirs et elle comprenait assez bien la réactions des autres lorsqu'il passait tout près.

« Tu vas passer une heure entière avec Merritt ? » demanda son amie en faisant la moue, presque compatissante. « Faut croire ! N'hésite pas à envoyer les flics si jamais t'as pas de nouvelles dans deux heures. » fit-elle en riant et en haussant les épaules avant de tourner les talons. Ce ne fut que quelques mètres plus loin qu'elle se retourna, un sourire en coin aux lèvres. « Appelle avant, quand même. » Elle se mit à rire et prit rapidement le chemin de son casier afin d'y déposer ses affaires et de récupérer celles qu'elle avait mises de côté pour London. Des feuilles de mathématiques, avec des fonctions simples et d'autres, beaucoup plus complexes. De la grammaire anglaise. Un peu d'histoire aussi. Rosie avait pris un peu de tout, sans savoir ce qui lui ferait davantage plaisir ou ce avec quoi il avait plus de difficultés. On ne lui avait rien dit. Elle devait offrir à London deux ou trois heures de tutorat par semaine, mais elle ne savait absolument pas ce dont il avait besoin. Tant pis, elle verrait bien !

Elle allait être en retard. Ou en tout cas, presque en retard. Lorsqu'elle arriva à la salle de classe réservée pour eux, elle eut la surprise de le voir déjà arrivé. En réalité, elle avait bel et bien espéré qu'il n'allait pas venir. Quelques secondes seulement s'écoulèrent alors qu'elle restait plantée sur le pas de la porte à le regarder, jaugeant simplement l'état d'esprit auquel elle devrait certainement faire face ce soir-là. Elle finit par détourner les yeux et refermer la porte derrière elle, s'approchant doucement jusqu'à déposer sur la table voisine de la sienne ce qu'elle avait apporté. « Moi, c'est Rosie. » fit-elle en tendant la main, décidée à partir du bon pied. Elle plissa néanmoins le nez avec un petit sourire. « Mais j'imagine que t'es déjà au courant. » Plutôt que de ramener l'une des chaises de son côté de la table, elle préféra faire le tour et venir s'installer à côté de lui. Malaise. Ce n'était jamais comme ça, d'habitude. Elle apportait généralement des exercices particuliers sur un sujet bien précis, non pas une tonne - okay, une très très petite tonne - de trucs différents. « On m'a dit que tu galérais dans certaines matières. Tu voudrais commencer par quoi ? » demanda-t-elle sans le quitter des yeux.

London n’avait jamais vraiment prêté attention à Rosie Foster, elle était tout ce qu’il détestait, une petite princesse intello et populaire, tout ce qu’il ne serait jamais et qu’il rejetait au plus haut point.  Lorsqu’elle entra dans la salle de classe spécialement réservé à leur heure de tutorat, il ne put s’empêcher cependant de remarquer combien elle était jolie et pleine de grâce. Il n’en restait néanmoins absolument pas intéressé par le soutien qu’elle comptait lui apporter. Elle se présenta tout en s’asseyant à côté de lui. Machinalement, il eut un mouvement de recul. Personne ne s’approchait jamais de lui et encore moins les petites filles fragiles qu’elle avait l’air d’être. Plein d’ironie et de sarcasme, il lança les réjouissances « Qui ne connaît pas Rosie Foster, Miss Parfaite dans toute sa splendeur… Pitié. » Sa nonchalance n’avait d’égal que sa complaisance. Il orientait délibérément son regard de l’autre côté de la pièce, faisant comprendre à sa tutrice qu’elle perdait son temps.

Cependant, la demoiselle ne se laissa pas décourager et avait l’air bien décidé à se mettre au travail. Lorsqu’elle lui demanda ce qu’il voulait étudier, il se retourna l’air interloqué : « Je te demande pardon ? Je pensais que c’était moi qui devais te donner des cours… A priori, tu as besoin d’aide en ponctualité… » Il la toisa du regard et ajouta « Et en dévergondage… Coincée ! » Il se leva et alla s’appuyer contre le bureau du professeur, se positionnant face à elle désormais. « Qu’est-ce qu’ils t’ont promis pour t’occuper de ce petit merdeux de Merritt hein ? "  Il s’approcha d’elle maintenant, si près qu’il pouvait sentir le souffle de la jeune fille se couper et la peur s’emparer d’elle. « Une place au tableau d’honneur ? ». Il continua sa séquence d’intimidation, il fit le tour et se pencha au-dessus de son autre épaule « Hein, dis-moi, qu’est-ce que tu fous là toute seule avec le vilain Merritt ? » London savait qu’il abusait mais il voulait voir ce que la petite brune avait dans le ventre. S’il y avait bien une chose qu’il détestait plus que lui-même, c’était qu’on le prenne en pitié. Oui, il avait des difficultés en classe comme dans la vie mais il n’en était pas moins quelqu’un qui exigeait qu’on le prenne au sérieux, et surtout, il ne supportait pas qu’on le rabaisse. En lui imposant ce tutorat, il s’était senti faible et il ne l’acceptait pas. Les yeux lançant des éclairs, il retourna se poser contre le bureau, les bras croisés tel un enfant de quatre ans qui boude parce qu’il n’a pas eu de goûter.

Lorsqu’il réalisa que Rosie n’avait aucune intention de quitter la salle et que son petit jeu n’avait pas eu l’effet escompté, il n’eut d’autre choix que de rebrousser chemin et de reprendre place à côté d’elle. « Les maths pour commencer. » dit-il tête baissée. Il savait bien qu’il avait absolument besoin de son diplôme mais pourtant, l’école lui sortait par les yeux et il n’arrivait pas à se motiver pour une matière qui de toute façon, ne lui serait d’aucune idée une fois les deux pieds en dehors de cet établissement. Ce n’était pas comme s’il avait prévu d’aller à l’université ou de devenir président des Etats-Unis, lui, ce qu’il voulait, c’était sa guitare, ses textes et la liberté. En attendant, il était coincé là. Il sortit son classeur de son sac et une feuille volante vint terminer sa course sous les pieds de la jolie petite brune. Un « A » en littérature. S’il y avait bien une chose que London maitrisait, c’était le pouvoir des mots, véritable autodidacte, que ce soit pour la lecture ou l’écriture, il avait fait de sa plume son défouloir, mais que Rosie pose les yeux sur ses écrits, ça non ! Il lui arracha sa copie des mains et lui hurla dessus « LES MATHS J’AI DIT PUTAIN ! MÊLE-TOI DE CE QUI TE REGARDE ! » Avant d’enfouir son devoir dans son sac. Sur cette copie, il avait livré une part de lui-même que personne ne connaissait et qu’il n’avait pas l’intention de dévoiler à qui que ce soit. À part peut-être Monsieur Elingten qui l’encourageait à poursuivre dans cette voie.  

Elle fronça les sourcils, mi-amusée, mi énervée par sa première réplique. C'était vraiment tout ce qu'il pensait d'elle ? Qu'elle n'était en réalité qu'une gamine pourrie gâtée, parfaite parce qu'elle ne correspondait pas à l'image qu'il avait de lui-même ? Elle préféra ne rien dire afin de ne pas jeter de l'huile sur feu, persuadée qu'il tentait de la décourager alors qu'ils n'avaient même pas réellement commencé. Un soupir presque imperceptible étira ses lèvres lorsqu'elle comprit que la tâche ne serait pas aisée et elle leva les yeux au ciel, bien décidée à garder son calme, coûte que coûte. Elle ne le connaissait pas vraiment, mais elle savait déjà quel genre de garçon il devait être, quel genre d'attitude il pouvait avoir à son égard. « T'as rien de mieux, comme insulte ? » fit-elle simplement en arquant un sourcil, le suivant des yeux jusqu'à ce qu'il se retourne finalement vers elle, appuyé contre le bureau professoral. Calme et résignée à accepter le fait que son début de soirée ne serait pas des plus agréables, elle tourna très légèrement la tête vers lui lorsqu'il vint se positionner derrière elle, frémit alors qu'ils étaient tous les deux. Elle voulait bien lui laisser une chance et croire les rumeurs qui circulaient à son égard infondées, mais il devait aussi ne pas lui laisser la chance d'imaginer qu'il puisse bel et bien être le monstre que les autres dépeignaient. Elle sentit une boule se former dans le creux de son ventre alors qu'elle sentait son souffle contre son cou, mais elle sut qu'il tentait simplement de lui faire peur lorsqu'il se qualifia lui-même de vilain. « Ils m'ont offert une bourse pour l'an prochain. Je l'obtiens seulement si tu réussis à mettre la main sur ton diplôme. Dieu seul sait à quel point c'est pas gagné. » Puisqu'il se permettait d'être odieux avec elle, elle le laissa mijoter quelques secondes, jusqu'à ce qu'il finisse par s'éloigner d'elle.

« C'est une blague. » Elle se força à sourire sans le lâcher des yeux. « Je suis ici parce que j'ai envie de t'aider, ce serait bien que tu te le rentres dans la tête. » Elle ne lui faisait pas de reproche, mais le ton de sa voix laissait sous-entendre qu'il n'aurait pas dix millions de chances. Elle avait accepté de l'aider et ce, même s'il lui donnait l'impression d'être une cause perdue, mais il devait prendre conscience qu'elle n'avait pas les pieds et les mains liés, que ce n'était pas un contrat et qu'elle pouvait y mettre un terme si elle le souhaitait. Elle n'était pas du genre à abandonner et elle était presque persuadée qu'elle ne lâcherait jamais le morceau jusqu'à ce qu'il ait enfin obtenu son diplôme, mais il n'était pas obligé de le savoir. Elle demeura complètement immobile, attendit qu'il vienne se rasseoir à ses côtés pour relever les yeux vers lui dans l'attente d'une réponse. Il ne tarda pas à lui faire savoir qu'il désirait commencer avec les mathématiques et elle hocha simplement la tête en sortant les feuilles qu'elle avait amenées pour lui. Elle ne put s'empêcher de se pencher pour récupérer la feuille qui avait glissé du classeur de London et un sourire surpris étira ses lèvres en voyant le A écrit en rouge. Stupéfaite, elle allait se retourner vers lui pour lui dire à quel point c'était bien, mais il lui arracha la feuille des mains, visiblement furieux qu'elle l'ait récupérée. La bouche légèrement entrouverte, elle n'osa rien répliquer, les mains légèrement relevées afin de lui dire qu'elle ne le ferait plus et qu'elle le laisserait tranquille. Elle sut dès lors qu'elle avait amené pour rien ses cahiers de littérature anglaise et elle se promit de les laisser dans son casier, la prochaine fois. Il n'avait clairement pas besoin de son aide pour ça puisqu'ils avaient obtenu exactement la même note.

Elle baissa les yeux sur ses propres cahiers et en sortit celui qui correspondait à la matière voulue, sans néanmoins connaître le niveau de London. « Tu as Zerwinger comme prof de maths, non ? On m'a dit qu'il était ... particulier. » fit-elle simplement en se rappelant les commentaires de ses amis. Avec un nom pareil, il devait déjà avoir un peu de mal à expliquer chacun des principes dans une langue compréhensible alors elle ne pouvait qu'imaginer à quel point tous ceux pour qui les maths n'étaient pas une matière facile - et London n'était clairement pas le seul dans ce cas-là ! - devaient vouloir s'arracher les yeux et les oreilles. « Je pense qu'on peut commencer avec ce que tu connais bien. Les additions, ça devrait aller. » Pourtant, elle peina à garder son sérieux et elle releva sur lui des yeux brillants, pétillants de malice. « Je te taquine. C'était nul comme blague, pardon. » Elle passa une main dans ses boucles brunes, les yeux toujours rivés sur le jeune homme alors qu'elle se sentait un peu plus détendue. Elle s'imaginait assez bien que ce genre de sentiment n'était pas fait pour durer, surtout pas lorsqu'elle se retrouvait en compagnie de London, mais elle était prête à faire des efforts, elle aussi. Et s'il était là, ça voulait également dire qu'il ferait des efforts aussi, non ? « Tu veux commencer par les théorèmes ? Les fonctions ? » demanda-t-elle finalement en jetant un coup d'oeil sur le cahier de math qu'il avait lui aussi sorti de son classeur.

Au milieu de cette salle de classe, London se sentait vraiment con. Une jeune fille tentait de le prendre en main, de l’aider à réussir, comme s’il ne pouvait pas y arriver tout seul. Il était énervé qu’encore une fois, on le prenne pour un incapable et ce sentiment ne s’estompait pas. Il n’était pas plus débile que les autres, c’était simplement que l’école, ce n’était vraiment pas son truc, et que ce dont il n’avait pas envie, il n’y accordait pas la moindre seconde de son temps… Autant dire que Mlle Blueburry pouvait bien se mettre ses fonctions exponentielles où il pensait, ça ne servait à rien ces conneries de toute façon, il ne comptait pas finir ingénieur ni professeur. « Non, Zerwinger, je me le suis tapé l’an dernier, Dieu merci cette année j’ai eu le droit à la bombasse… » Le sourcil arqué, l’air interrogateur, Rosie ne comprenait pas. London la regarda atterré qu’elle ne sache pas de qui il parlait. « Ba Blueburry !!! » Tous les garçons du lycée bavait sur la petite prof’, et les cours devenaient le temple de l’observation des courbes de la jeune femme. Un sourire se dessina au coin des lèvres du fauteur de trouble, perdu dans ses pensées coquines. « Ah ouais » insista-t-il en hochant la tête, validant une nouvelle fois pour lui-même le physique avantageux de son enseignante tandis que l’image se dissipait dans son esprit. La jolie petite brune était toujours à côté de lui, et alors qu’il reprenait ses esprits, il lui aboya dessus, comme à son habitude « Quoi ? Qu’est-ce que tu regardes ? ». La jeune fille allait avoir fort à faire avant de réussir à dompter ce lion en cage et de parvenir à lui transmettre la moindre notion de quelque matière que ce soit.

Il se résigna tout de même à sortir son livre de maths, et son classeur, mais il n’avait clairement ni l’envie ni la motivation. Tout était prétexte à le déconcentrer, le bruit des gouttes de pluie qui venait s’écraser contre la fenêtre, la mouche qui dans tout le lycée, n’avait trouver de meilleur endroit pour se poser que son épaule, ou bien les battements de cils de Rosie qui venait ponctuer ses phrases de manière très régulière. Finalement, la voix de Rosie lui fit reprendre conscience de l’endroit où il se trouvait et il sourit à la tentative d’humour que tentait de faire la demoiselle. Elle avait du culot, et elle n’hésitait pas à se mesurer à lui, à le taquiner et à tenter le diable, ça l’intriguait. D’habitude, les gens fuyaient dès qu’il posait le regard sur eux ou leur adressait la parole comme il savait si bien le faire, sèchement et grossièrement, mais Rosie Foster n’était visiblement pas comme les autres, elle n’avait pas peur de lui. Pire que ça, elle se sentait suffisamment à l’aise pour s’essayer à une blague. Il tourna la tête directement vers elle, surpris et amusé par tant d’assurance. « Alors comme ça, Rosie Foster n’a pas peur du grand méchant loup. Intéressant. » Dit-il en posant son coude sur le bureau, en support de sa tête bien pleine mais incomprise. Reprenant son sérieux, il lui indiqua qu’il avait un test sur les exponentielles le lendemain et qu’une sale note lui serait sûrement fatale. Autant London n’avait pas envie de faire chauffer son cerveau sur des séries de courbes et de calculs, il n’avait pas envie de passer les prochaines années de sa vie derrière les barreaux. Il avait déjà connu la détention, et il n’en gardait pas un souvenir franchement positif, loin de là.

Après une bonne dizaine de minutes à écouter les explications de Rosie, rien n’avait changé, c’était comme lui demander d’effectuer une traduction simultanée en chinois… Il parlait aussi bien chinois qu’il ne comprenait les maths. Autant dire que ses chances de réussir son interro étaient proches du zéro. Enervé après lui de ne pas réussir l’exercice, il ferma violemment son livre, frôlant le nez de sa tutrice au passage, penchée sur le bouquin afin de lui montrer un exemple. « Tu perds ton temps, et moi aussi. Laisse tomber tu veux. C’est mort. » London rangea son livre dans son sac, dépité et en colère, mais voyant que Rosie ne bougea pas le moindre orteil, il croisa les bras et fit balancer sa chaise une nouvelle fois. « Rentre chez moi, t’auras essayé, c’est déjà plus que les autres. Allez, dégage de là, tu peux avoir bonne conscience, le paradis t’ouvrira ses portes, t’as fait ta bonne action de l’année. Dieu t’en remercie, allez ciao.» Il lui faisait signe de déguerpir, il en avait assez de devoir accepter le fait qu’il n’y arriverait pas, il n’avait pas envie de sentir le regard désolé d’une inconnue sur lui, et encore pire, il ne voulait pas affronter son regard tout court maintenant qu’il venait de se ridiculiser devant elle, incapable de réussir un pauvre exercice à la con.

La bombasse ... Surprise par le terme employé alors qu'il parlait certainement de l'une de ses enseignantes, la jeune fille avait arqué un sourcil étonné, plongeant ses prunelles dans le creux des siennes sans réellement comprendre à qui il faisait allusion. Elle n'avait jamais eu Blueberry comme prof de math, mais elle en avait entendu parler. Elle sentit une pointe de jalousie gagner son coeur, comme si elle détestait déjà cette femme beaucoup trop vieille pour eux. Pour lui. Néanmoins, lorsqu'il lui demanda ce qu'elle regardait d'un ton relativement énervé, elle leva les yeux au ciel en haussant les épaules. « Ce serait bien que tu te concentres sur autre chose que les courbes de ta prof de math. Je comprends mieux pourquoi tu galères. » fit-elle simplement avant de capter son regard, le mettant silencieusement au défi de riposter. Elle n'avait pas que ça à faire et puisqu'elle donnait de son temps bénévolement pour tenter de le remettre sur le droit chemin et de l'aider à comprendre les bases des notions de mathématiques vues en dernière année de lycée, elle espérait tout de même qu'il puisse de son côté faire un effort maximal pour bien saisir ce qu'elle voudrait bien tenter de lui expliquer. Ses propos, toutefois, représentaient plutôt un reproche et elle ne comprenait pas pourquoi certains étudiants ne mettaient pas tous les efforts nécessaires afin de laisser enfin derrière eux ces années de leurs vies qui leur sortaient par les narines. Bien sûr que ça ne servait pas à grand chose ! Bien sûr qu'ils apprenaient un tas de choses dont ils ne se souviendraient plus vraiment, des années plus tard. Mais ce mal était un mal nécessaire afin d'obtenir un diplôme et cette raison lui semblait suffisante afin de bien écouter et d'essayer de comprendre, ne serait-ce que pour ne pas devoir reprendre le cours.

« Je devrais ? » demanda-t-elle avec un petit sourire amusé lorsqu'il prit conscience du fait qu'elle n'était pas effrayée par sa présence. Rosie était capable de se défendre et de toute façon, elle était persuadée que les racontars et les rumeurs qui circulaient à propos de London se voulaient infondées. Personne n'avait jamais vraiment su pourquoi il avait fait de la prison et Rosie s'était résignée à en apprendre un peu plus sur lui avant de juger chacun de ses actes comme se plaisait à le faire la majorité des élèves du lycée. Nonchalant, London lui donnait carrément l'impression de ne pas vouloir être là et étonnamment, la jeune fille n'avait qu'une envie plus grande de le retenir dans cette salle de classe éternellement. Un examen sur les fonctions exponentielles, voilà qui s'avérait prometteur. La jeune fille s'était toujours révélée douée en calculs et en mathématiques en général, mais elle ne doutait pas une seule seconde que la tâche ne serait pas aisée. Sérieuse, elle sortit son cahier de notes et d'exercice, les installa devant London en se penchant légèrement sur la table de manière à lui expliquer les bases, en gros. L'enseignante du jeune homme avait déjà dû lui dire tout ça, mais parfois, entendre les mêmes explications sous un angle nouveau pouvait parfois permettre de mieux comprendre. Rosie tentait de se montrer la plus concise et la plus compréhensible possible, mais elle fronça les sourcils en reculant légèrement sur sa chaise lorsqu'il fit claquer le bouquin. Sérieuse, énervée aussi de voir qu'il n'essayait même pas un peu, elle croisa les bras, ne bougea pas d'une miette. Qu'avait-il à dire, pour sa défense ?

Alors, c'était donc ça ? Il pensait qu'elle le prenait en pitié ? La jeune fille secoua la tête avec un sourire mi amusé, mi énervé. « Et tu penses réellement que c'est avec ce genre d'attitude que tu vas réussir ? Ce n'est pas la fin du monde, tout le monde ne comprend pas du premier coup toutes les matières. Ça fait pas de toi un con. Un connard, peut-être. Mais pas un con. » Elle était énervée et elle posa ses doigts sur son bras avec une autorité qu'elle ne se connaissait pas. « Je ne quitterai pas cette salle tant et aussi longtemps que t'auras pas compris. Et toi non plus. Je veux que tu gères, à ton exam ! » Bien décidée à ne pas le laisser quitter la classe, elle ouvrit à nouveau le bouquin et retrouva aisément la page de l'exercice. Elle avait tenté d'expliquer en des termes mathématiques ce qui se déroulait sous leurs yeux, mais désormais, elle allait devoir faire un effort supplémentaire d'imagination. « En gros, essaies de prendre la fonction exponentielle comme ça : T'es en soirée. Tu bois un verre, tout va bien. Deux, ça va. Trois, ça passe encore. Quatre. Cinq. Le sixième, ton état d'ébriété grimpe en flèche et le septième, c'est le verre de trop. Le x, c'est le nombre de verres que tu prends. Le y, c'est ton état d'ébriété. » Elle devait faire un effort surhumain pour garder son sérieux, mais elle était persuadée que ce genre d'exemple pouvait possiblement l'aider à y voir plus clair. « Après, c'est plutôt simple. Il suffit de résoudre l'expression algébrique. Hésite pas à dessiner un graphique vite fait, ça aide à tous les coups. Vas-y. » Elle lui mit le crayon dans la main, l'encouragea d'un léger signe de tête alors qu'elle lui faisait recommencer l'exercice et qu'elle l'aidait, du mieux qu'elle le pouvait, à mettre en place l'énoncé du problème. Elle voulait le laisser faire, mais elle n'hésitait pas à corriger doucement lorsqu'il faisait une erreur, lui en expliquait les raisons. Elle savait qu'il était intelligent et qu'il pouvait le faire. Il devait simplement y mettre un peu du sien.

La répartie de Rosie avait au moins le mérite de le faire rire. Il n’avait clairement pas imaginé au moment où elle avait passé les portes de cette salle de cours qu’il aurait à faire à une jeune fille à qui il ne faisait pas peur, ou qu’il n’impressionnait pas et qui ne craindrait pas de le remettre à sa place. Il avait pourtant essayé l’intimidation, l’agressivité, rien n’y avait fait, elle était encore là sur la chaise à côté de lui et insistait pour qu’il se rassoit, elle était même presque autoritaire. Surpris, arquant un sourcil, il esquissa un sourire en coin tout en s’exécutant. Si jamais elle n’arrivait pas à lui faire comprendre ces fichues fonctions, au moins elle avait gagné son respect, ou sans exagérer, sa considération certaine. Tout en reposant ses fesses bombées () sur le siège, il posa son regard sur la jolie brune qui n’avait pas bougé d’un poil, elle observait d’une mine sévère et dure, obligeant London à se soumettre à son autorité, lui qui pourtant la refusait sous toutes ses formes. Bien sûr, s’il avait voulu, il aurait pu franchir ses portes et la laisser là, il en avait même toujours très envie, mais pour une fois, il s’était montré raisonnable, il savait combien cette année était déterminante pour la suite et les mots de Rosie avait fait mouche dans son esprit… Un « connard » elle avait dit, elle avait osé. Pourtant, sorti de la bouche de n’importe qui, ce mot aurait eu l’effet d’une bombe, aurait poussé London à balancer ses affaires et à venir écraser son poing dans le ventre de son interlocuteur avant de le menacer de ne jamais plus lui adresser la parole à moins d’être suicidaire et de vouloir terminer ses jours dans d’atroces souffrances. Cependant, venant d'une jeune fille qu’il avait placé dans la catégorie « intellos coincés », sa réaction fut tout autre, il se redressa et pour une fois, ne trouva rien à en dire, elle venait de le bluffer, et ça signifiait beaucoup.

A nouveau contraint d’ouvrir son livre, London souffla de désespoir et lança un regard noir à sa tutrice avant de se pencher sur l’exercice qu’elle lui montrait. Lui expliquer les maths, c’était comme essayer d’apprendre à nager à un chat, incompatible. La demoiselle essayait pourtant par tous les moyens, elle reformulait encore et encore mais quels que soient les mots utilisés, elle parlait toujours une langue étrangère au jeune homme. Il avait beau analyser les chiffres et les lettres qu’il avait sous les yeux, rien n’y faisait. Comment pouvait-on comprendre quelque chose basé justement sur l’inconnu. Il n’y avait rien de rationnel dans tout ça, et c’était sûrement ce qui le perdait en route. Il secoua la tête, complètement désabusé et impuissant. C’est là qu’il réalisa pourquoi c’était elle que le directeur avait choisi de lui envoyer, pourquoi ils avaient mis cette jeune fille innocente au service de ce merdeux de Merritt, elle était intuitive et rusée, elle avait réussi à percevoir ce qui bloquait London pour lui tourner le problème autrement, et ce en l’espace de quelques minutes. Non seulement elle avait le caractère suffisant pour le cadrer, mais elle avait également l’esprit nécessaire à ce qu’il perçoive les problèmes mathématiques d’une manière plus concrète. Maintenant qu’elle lui avait imagé tout ça, la formule prenait plus de sens et surtout, elle avait réussi là où tous les autres avaient échoué avant elle, Rosie Foster venait de capter son attention.

Il se sentait comme un gamin, mais pourtant, une part de lui était plutôt fière de ce qu’ils venaient d’accomplir tous les deux. Evidemment, London se félicitait d’avoir finalement plus ou moins compris ce qui le bloquait depuis des semaines, mais il savait très bien qu’il devait tout ça à Rosie. Une fois arrivé au bout de l’exercice, bien qu’elle l’ait corrigé à plusieurs reprises, il avait le sentiment de devoir accompli, et il ne pensait pas à cette heure de tutorat qu’il avait dû supporter, mais à cette partie du cours qu’il maîtrisait peu à peu. Un sourire immense se dessinait sur son visage, celui de la satisfaction, et même de l’autosatisfaction, quelque chose qu’il n’avait pas connu depuis très longtemps. Il posa sa main sur celle de la demoiselle et lui adressa un « merci. » sincère. London n’était pas du genre à devoir quoique ce soit à quiconque mais s’il réussissait son contrôle le lendemain, il fallait bien reconnaitre qu’elle y serait pour beaucoup. Une heure était passée, il rangea ses affaires, attrapa son sac et prit la direction de la porte sans attendre la petite brune. Cependant, alors qu’il allait franchir le seuil de cette classe, il se retourna et lui donna une dernière consigne. « Au fait, cette heure de tutorat n’a jamais eu lieu, dès que tu es entrée, je me suis barré. C’est bien clair. Personne ne me donne leçon ici. » Il s’éloigna sans le moindre regard, impatient d’aller se vider la tête à l’air libre.

Elle avait fait avec lui le premier exercice, mais les suivants, il les avait fait tout seul et non seulement il avait tenté, mais il avait bel et bien réussi. Elle l'avait simplement observé et son regard s'était parfois perdu sur sa lèvre légèrement mordillée à force de concentration, sur la courbe de sa mâchoire alors qu'il gardait les yeux rivés sur sa copie. Elle devait avouer qu'elle le trouvait charmant, ainsi totalement silencieux avec le regard perçant de celui qui tente de comprendre un exercice de mathématiques trop compliqué. Elle sourit lorsqu'il parvint à résoudre le dernier énoncé de la page et inclina légèrement la tête de côté en ressentant contre le dos de sa main la paume du jeune homme. Elle ne s'était pas attendue à ce qu'il la remercie ou en tout cas, pas de cette façon et elle se mordit légèrement la lèvre. « Quand j'ai dit que tu ne quitterais pas cette salle avant d'avoir compris, ce n'était pas des paroles en l'air. » avoua-t-elle doucement en haussant légèrement les épaules après avoir délicatement dégagé sa main et baissé les yeux sur les feuilles éparpillées devant elle qu'elle regroupa afin de réussir à quitter son regard. Elle ne savait pas ce qui se passait, mais elle était persuadée qu'il y avait quelque chose. Ses prunelles sombres étaient hypnotiques et elle avait parfois l'impression qu'il usait de cet atout qu'il possédait en plantant ses iris dans le creux des siens, azurés.

Et puis, il ramassa rapidement ses affaires avant de rejoindre la porte et elle ne releva les yeux que lorsqu'il s'adressa à elle, surprise. Elle ne s'était pas attendue à ce qu'il demande une chose pareille et elle l'observa d'un air mi-amusé, mi-surpris. « Si tu veux. » Elle ne gagnait absolument rien à lui offrir cette séance de tutorat et elle n'était pas du genre à vouloir une partie des mérites qu'il récolterait lors de ses examens. Elle l'aidait, mais c'était pour lui et non pas pour elle alors elle voulait bien garder le secret si ça pouvait lui faire plaisir. Elle n'osa toutefois pas lui dire que personne n'était dupe et que s'il n'avait absolument rien compris au cours, il n'allait certainement pas pouvoir réussir ses examens et elle le laissa quitter la salle de classe en poussant un soupir, néanmoins heureuse de voir qu'il avait enfin réussi à saisir ce qu'elle avait tenté de lui montrer depuis le début.

Rapidement, elle ramassa ses affaires et quitta elle aussi la salle, s'empressant d'envoyer un message à son amie afin de lui dire que London n'était jamais venu la voir. Ce n'était pas son genre de mentir, mais elle tentait en vain de gagner sa confiance et de lui rappeler que le monde entier n'était pas contre lui. Elle glissa le téléphone dans sa poche et prit la direction de la maison, bien décidée à laisser derrière elle cette heure de tutorat. Toutefois, lorsqu'elle passa le pas de la porte, elle était loin de se douter que son père l'attendait de pied ferme. « Où est-ce que tu étais ? » Surprise par le ton sérieux avec lequel il s'adressait à elle, elle déposa son sac sur le sol et referma la porte derrière elle. « J'avais du tutorat. Je pensais vous l'avoir dit, on m'a demandé d'aider London avec ... » « London Merritt ? » Elle fronça les sourcils sans comprendre et hocha lentement la tête. « Tu as passé la dernière heure avec lui ? » Le reproche était cuisant et elle sut qu'elle ne pourrait pas lui mentir. Pas comme ça. « C'est du tutorat, papa. » Il sembla s'adoucir en voyant l'expression d'incompréhension de sa fille et poussa un soupir avant de tourner les talons. « Fais tout de même attention. On ne sait jamais, avec les jeunes comme lui. Viens manger, tu n'as qu'à faire réchauffer. » Rosie ferma les yeux quelques secondes et poussa un soupir discret avant de se rendre à la cuisine. Sa soeur devait déjà avoir mangé et regagné sa chambre, mais elle ne s'en formalisa pas pour l'instant, un peu déçue de voir que son père pouvait porter d'aussi rapides jugements sur un garçon qu'il ne connaissait même pas et dont il n'avait qu'entendu parler.

Le lendemain, elle se rendit en cours à pied, accompagnée de sa soeur, et les deux filles ne se quittèrent que lorsque la première cloche sonna le début des cours. Histoire. Anglais. Les matières se succédèrent, mais l'esprit de la jeune fille était ailleurs alors qu'elle se demandait comment se débrouillait London dans son examen. L'enseignante d'anglais dut même redire deux fois son prénom afin qu'elle réponde à la question qu'elle venait de poser et Rosie dut la lui faire répéter, ce qu'elle ne faisait jamais. Lorsqu'enfin la cloche sonna la fin du cours, elle suivit le flot d'étudiants qui quittaient joyeusement la salle de classe afin d'aller rejoindre leurs amis et se retrouva dans le couloir afin de rejoindre son casier.

Bien que cette heure de tutorat lui ait été bénéfique et pas si pénible que ça, il était impatient de sortir de l’établissement et d’enfin aller vaquer à ses occupations, loin de toutes ces conneries qu’on lui demandait d’apprendre, loin de ces statuts de « mauvais élève », « mauvais garçon » qui lui collaient à la peau dès qu’il était entouré de tous ces insipides personnages qui ne vivaient que par procuration. Il se faisait déjà tard et la nuit commençait déjà à tomber sur Pearl Trees, on sentait bien que l’hiver installait doucement son nid sur la ville, les journées étaient de plus en plus courtes et les températures chutaient dangereusement dès que le soleil s’éclipsait. Sa guitare sur le dos, il prit la direction du parc à fleurs pour s’y poser sous son chêne préféré, celui qui abritait toutes ses pensées, qui le voyait raturer ses feuilles comme il bousillait sa vie. Tous les soirs, il venait s’écrouler au pied de cet arbre et y écrivait ses émotions sur un cahier qu’il gardait bien précieusement dans son sac à dos, un ramassis de feuilles qui racontait sa vie, des choses dont il ne parlait pas, des éléments de son passé qu’il préférait poser sur papier plutôt que d’exprimer à voix haute, un cahier qu’il ne quittait jamais. En face de lui, des visages qui souriaient à l’intérieur de ce petit café, qui s’embrassaient et partageait des accolades comme si le bonheur était si simple. London secouait la tête, ça l’énervait de voir tous ces abrutis se faire la bise alors que dans une heure, une fois loin les uns des autres, leurs premières paroles seraient « Non mais tu ne trouves pas qu’il a grossi ?! » ou encore « Ohlala, il m’a gonflé à me parler de ses gamins toute la soirée. ». Tous des hypocrites qui faisaient semblant d’être heureux alors qu’au fond, il n’en était rien. S’il ne parlait pas des masses, le jeune homme observait beaucoup, des sourires qui cachaient des yeux ternis par l’ennui, des intonations un peu trop poussées qui traduisaient un mensonge à peine voilé. On ne la lui faisait pas à lui, tous ces faux semblants le dégoûtaient de l’espèce humaine encore plus, si tant est qu’il ait encore une once d’espoir. Issu d’un viol, abandonné par sa mère qui lui avait préféré un homme de passage, il allait de soi que son amour propre en avait pris un coup, alors il traduisait tout ça dans une agressivité parfois injustifiée vis-à-vis d’autrui, mais ça ne le dérangeait pas plus que ça. Des excuses ? Jamais de la vie.

En gratouillant les cordes de sa guitare, il repensait à sa petite séance de cours particuliers, et à sa tutrice. Il l’entendait le traiter de connard, et aussi bizarre soit-il, il avait aimé ça. Pas qu’elle l’insulte, London n’était pas sado-maso, mais qu’elle se mesure à lui du haut de ses 1m60, avec son visage de petite poupée et ses allures de fille parfaite, elle l’avait remis à sa place et ça le travaillait. Regardant à droite et à gauche, vérifiant qu’il n’y avait personne à l’horizon et donc aucun témoin de l’acte qu’il s’apprêtait à commettre, cette infamie qu’il n’avouerait jamais même sous la torture, London se surprit à sortir son livre de maths et à refaire l’exercice comme Rosie lui avait expliqué. Il détestait ça, chacun de ces chiffres et chacune de ces courbes, toutes ces données qui pour tout être normalement constitué n’avait aucun sens, mais il fallait qu’il obtienne une bonne faute, il en avait besoin, c’était vital. Et l’idée même de se dire que sa vie entière dépendait de ses notes, et donc de ces foutus cours avec Foster le rendait encore plus fou. Il n’avait pas envie de retourner dans cette salle et de devoir subir la même chose, à chaque fois, ouvrir un bouquin et passer pour un crétin qui ne comprend rien à rien. Les minutes s’étaient écoulées bien trop vite et déjà le vent commençait à siffler dans les oreilles du garçon, se frottant les mains pour retrouver un peu de chaleur, il rangea toutes ses affaires et prit le chemin du foyer. Ce soir, il n’allait pas trainer dehors comme il en avait l’habitude, il entendait déjà l’orage gronder au loin. Une fois dans sa petite chambre, la tête enfoncée dans son oreiller et le regard fixant le plafond, il rêvait à une vie meilleure, différente, une vie où il n’aurait pas à cohabiter avec ses deux meilleures amies en permanence, la frustration et la colère.

La lumière du jour vint éveiller ses sens, qu’il était bon de sortir d’une longue et bonne nuit de sommeil… London s’étirait grassement dans son lit quand il percuta « Oh putain, quelle heure il est ??!! » Son téléphone indiquait 8h43. Il avait cours à 9h tapantes, il fonça à toute vitesse sous la douche et ruina sa bonne hygiène en courant comme un dératé jusqu’au lycée. Le souffle coupé, le visage ruisselant de sueur, il passa la porte de la classe de Mademoiselle Blueburry en même temps que la sonnerie retentissait. Il souffla un grand coup et prit place au dernier rang, faisant voltiger le sac d’un de ses camarades de classe au passage alors qu’il trainait au beau milieu de l’allée. « La prochaine fois, tu feras gaffe espèce de… » La voix de la professeur coupa la langue fourchue de London qui se contenta de lancer des éclairs à ce pauvre jeune homme avant de gagner son siège. « L’examen comporte 20 questions et durera deux heures. Il comptera pour 50% de votre note finale. Quand je vous le dirai, vous pourrez retourner les copies. » Il y était, le moment crucial, s’il échouait à cet examen, sa moyenne allait être bien trop faible pour être rattrapable et son avenir se griserait immédiatement. Alors qu’elle donna enfin l’autorisation de se pencher sur le sujet, London souffla un grand coup et lut les questions les unes après les autres. Il avait vraiment été con de croire qu’il allait pouvoir réussir cet exam’, tout à coup, devant cette feuille blanche, tout lui semblait insurmontable. Il n’allait jamais y arriver, comment avait-il pu imaginer obtenir une note correcte, il n’était pas fait pour l’école, et il fallait qu’il se fasse une raison, il allait passer les prochaines années de sa misérable vie en prison. Il se pencha sur la première question, il arriva au bout mais le temps passait bien trop vite. Lorsque la cloche retentit après deux heures, il n’avait répondu qu’à quatorze des vingt questions. Dépité, il rendit sa copie, furieux de s’être laissé aller à espérer. Lui, London Merritt, sujet à un infime espoir de réussite ? Effectivement, il était vraiment un abruti fini. Les gens avaient sans doute raison tout compte fait, il n’était bon à rien, ne remplir que quatorze questions sur vingt, il devait être le dernier des demeurés. Se maudissant lui-même, bouillonnant de rage, la professeur proposa de faire la correction durant l’heure suivante. Au fur et à mesure que les réponses s’affichaient, London se redressait sur sa chaise. S’il n’avait pas répondu à tout le questionnaire, ses démonstrations avaient toutes abouti à des résultats corrects ou presque, et c’est tout sourire qu’il quitta la salle de classe. Il allait avoir la moyenne, il en était sûr. Alors qu’il arpentait le couloir fier de lui, événement rare dans la vie du petit Merritt, il aperçut Rosie quelques mètres plus loin, entourée de son troupeau de copines, ricanant comme des chèvres, il se serait cru dans une série de bas étage à la Beverly Hills. Toutefois, ce spectacle pitoyable n’atténua en rien la joie intense qu’il ressentait à travers chaque pore de sa peau, celui du devoir accopmli. Il accéléra l’allure et attrapa la main de Rosie au passage qui fut emportée de suite par le torrent Merritt. A l’abri des regards, dans un espèce de placard à balai bien trop étroit pour deux, London, le corps serré contre celui de la jeune femme, et les yeux plein d’étoiles, sautillait sur place, du moins essayait sans grande réussite. « Je crois que j’ai réussi !!! Non non, je ne crois pas, je sais ! J’ai réussi le test Rosie, j’ai réussi. » Réalisant soudain la proximité de leurs corps, leur peau qui se touchait, s’arrêta nette dans ses gestes guillerets et reprit un air sérieux. « Et c’est grâce à toi, je t’en dois une, Foster ! ». Comme à son habitude quand la situation devenait pesante ou inconfortable, London allait fuir, il allait s’échapper de cette ambiance étouffante et retrouver son âme de solitaire, de mec perturbé qui n’aime personne et que personne n’aime, oui il allait… tenter d’ouvrir la porte… En vain. Il n’y avait pas de poignet dans ce maudit placard et voilà que les deux élèves se retrouvaient coincés dans un espace des plus étroits tandis que la sonnerie de la reprise des cours retentissait. Bientôt, plus personne ne se baladerait dans les couloirs et ils se retrouveraient coincés pour un bon moment. « Y’A QUELQU’UN ?!! » hurlait London à travers la porte.  

Un peu distraite, la jeune fille avait retrouvé ses amies dans le couloir, mais ne prenait pas vraiment part à la discussion, les laissant bavasser joyeusement alors qu'elle marchait à côté en se demandant comment s'était déroulé l'examen de London. Elle croyait en lui, vraiment, elle savait qu'il pouvait réussir, mais elle savait également qu'il n'y parviendrait pas s'il ne mettait pas la main à la tâche. Il devait absolument réussir son année et agripper son diplôme, mais il était suffisamment intelligent pour prendre conscience de tous les enjeux impliqués. Il devait simplement croire que ça en valait la peine. Que la vie en valait la peine. Il devait croire que mettre la main sur ce foutu diplôme lui donnerait quelque chose et ce, même si ce n'était pas vraiment vrai. Elle se rappelait encore les mots qu'il avait prononcés lorsqu'il avait quitté la salle de classe le soir d'avant, lorsqu'il lui avait demandé de ne parler à personne de ce qui s'était passé et même si elle n'avait pas trop compris la raison qui le poussait à agir de la sorte, elle avait décidé de garder le secret. Seuls ses parents étaient au courant - parce qu'elle avait entendu son père en parler à sa mère en lui demandant de bien vouloir lui parler afin de la raisonner. Non, mais ! Leur fille ne pouvait décidément pas donner des cours particuliers à un jeune comme lui ! Pas sa Rosie ! - et elle s'était bien gardée d'en parler à ses amies, bien décidée à gagner la confiance du jeune homme, coûte que coûte. Elle ne le connaissait pas encore et pourtant, elle était persuadée qu'il en valait lui-même la peine, peu importait ce que ses parents en disaient. Sa mère ne lui en avait pas touché mot et Rosie se demandait si elle avait tenté de calmer son père, si elle avait tenté de lui dire que ce n'était pas si pire que ça, qu'ils ne faisaient rien de mal et qu'elle tentait simplement de l'aider. Sa mère avait toujours été plus calme, plus posée que son père et Rosie pouvait affirmer avec fierté qu'elle lui ressemblait un peu. Avec le temps, la jeune fille avait appris à ne pas s'énerver et à prendre la vie avec un grain de sel, si bien que tout lui semblait beaucoup plus facile, désormais. Toutefois, elle pouvait également comprendre l'inquiétude que nourrissait son père à l'égard de ses deux filles, comme si les deux soeurs Foster n'étaient encore que des petites filles. Il ne semblait pas saisir qu'elles avaient grandi et qu'elles n'avaient plus besoin d'être surprotégées. Rosie le voyait lorsqu'elle regardait London, elle prenait conscience de la petite lueur qui ne s'était pas encore éteinte dans le creux de ses prunelles et elle était prête à tout pour la voir briller à nouveau. Elle avait eu la chance d'avoir une famille aimante, mais certains n'avaient connu que l'instabilité et elle refusait de juger le jeune homme sur la seule base de ce que les autres avaient dit de lui auparavant. Elle se ferait sa propre idée de la personnalité qu'était London, qu'il le veuille ou non.

Rosie avait suivi les autres sans vraiment s'intéresser à ce qu'elles disaient et aucune d'entre elles ne comprit qu'elle avait disparu. Surprise, la jeune fille sursauta lorsqu'on lui prit la main, mais n'eut absolument pas le temps de riposter, rapidement entraînée elle ne savait trop où sans même qu'elle ne puisse comprendre ce qui lui arrivait. Ce n'est que lorsqu'elle se retrouva plaquée contre London qu'elle se mit à rire, les yeux brillants. « London ! » Toutefois, son ton ne représentait pas un reproche et elle releva les yeux afin de le regarder, ravie de voir des prunelles aussi pétillantes. Ainsi donc, il avait réussi. Les exercices qu'ils avaient fait ensemble avaient porté fruit. Sans vraiment prendre conscience de son geste, elle entoura le cou du jeune homme de ses bras afin de le serrer davantage contre elle, tout autant excitée qu'il pouvait l'être par la nouvelle. Elle avait pensé à lui toute la soirée - elle était même presque certaine d'avoir rêvé à lui à un instant pendant la nuit - et elle s'était inquiétée pour lui toute la matinée. Il avait réussi, elle n'y croyait pas encore. Elle avait cru en lui, bien sûr, elle savait qu'il pouvait réussir, mais elle n'était pas certaine qu'il ferait l'effort, elle n'était pas non plus persuadée à cent pour cent qu'il accepterait cette aide qu'elle lui avait offerte. Simplement par égo, elle savait qu'il aurait pu tout rater. Pour lui faire comprendre qu'elle n'avait pas sa place dans cette vie étudiante qu'il tentait de reconstruire. Qu'elle n'avait pas sa place dans sa vie, tout court. Et non.

Elle prit conscience du malaise de London et elle retira rapidement ses mains, un peu gênée tout à coup. Elle se mordit la lèvre et inclina légèrement la tête lorsqu'il affirma lui en devoir une. « J'ai toujours su que tu réussirais! » Elle frémit en sentant contre sa peau la chaleur de celle du jeune homme, sentit les battements de son coeur se faire beaucoup plus rapides. Elle soutint son regard quelques secondes, mais il finit par détourner les yeux afin de s'intéresser à la porte. Panique. Il n'y avait pas de poignée. Elle ressentit la détresse de London, mais plaquée comme elle l'était contre la fine étagère du fond, elle ne pouvait pas faire grand chose pour lui venir en aide. Elle le laissa crier en fermant les yeux, passa une main nerveuse dans ses cheveux alors qu'elle se sentait trembler un peu, tout à coup. La première sonnerie avait retenti il y a un moment déjà et ils ne tardèrent pas à entendre la seconde cloche, celle qui signifiait que les étudiants avaient quitté les couloirs pour rejoindre leurs salles de classes. Délicatement, la jeune fille posa les doigts sur le bras de London afin de ne pas le faire sursauter alors qu'un soupir léger étirait ses lèvres. « Ça ne sert plus à rien. » murmura-t-elle simplement en retirant ses doigts de la peau masculine, presque surprise par le contact doux de sa peau sous sa main. Elle croisa une nouvelle fois son regard, sourit timidement alors qu'ils ne pouvaient rien faire d'autre qu'attendre. « J'espère que tu n'es pas claustrophobe ... ? » demanda-t-elle en se reculant un peu contre l'étagère jusqu'à s'appuyer dessus, sursautant brusquement lorsqu'elle fit tomber elle ne savait trop quoi derrière elle. Sans vraiment s'en rendre compte, elle avait fait un bond en avant, mais le corps de London l'empêcha d'aller plus loin, si bien qu'elle se mit à rire. Ce n'était qu'un vieux tas de cordes. Ses doigts avaient agrippé le bras de London et elle desserra lentement sa prise lorsqu'elle comprit que ce n'était ni une souris ni un serpent. « Pardon. »  

Tambourinant à la porte tel un acharné, London ne voulait pas imaginer qu’il allait rester coincé à l’intérieur pour les deux prochaines heures au moins. Il pouvait à peine bouger, il était hors de question d’attendre ici patiemment comme une victime, et puis en plus, sans bouger comme ça, il allait attraper des crampes, voir même voir ses muscles s’atrophier par manque d’exercice physique. Après tout, qui pouvait témoigner, était-ce arrivé à une personne de l’établissement déjà ? Et si personne ne les entendait à la prochaine pause ? Si dans le brouhaha général, leurs cris restaient vains ? Allaient-ils passé la journée là-dedans ? London sortit son téléphone de sa poche, en prenant soin comme d’un diamant, elle était là sa solution, il était vraiment con de ne pas y avoir pensé avant ! Il tenta d’envoyer un texto à Lana, la seule personne avec qui il avait des rapports plus ou moins corrects, ou du moins avait eu… En réponse à son message, son opérateur se fit un plaisir de lui rappeler que son crédit était épuisé. Voilà ce qui arrivait avec les cartes prépayées, quand il n’avait plus de sous, il n’en rachetait pas et se retrouvait donc sans ligne. « Evidemment… » Soufflât-il avant de ranger son téléphone. Rosie le regardait et comme pour sauver des apparences déjà bien entachées, il lui balbutia « Plus de batterie. » avant d’entendre un « boom » et de se retrouver avec la brune dans les bras en moins de temps qu’il ne fallait pour le dire. Elle lui serrait le bras tellement fort qu’il était à peu près certain d’avoir la marque de ses doigts tatouée sur la peau. Lorsqu’elle réalisa qu’elle avait sursauté pour rien, elle fit un pas en arrière et machinalement, London passa sa main sur son poignet d’une moue renfrognée avant d’afficher un air satisfait « Et bin dis donc Foster, je ne pensais pas que c’était ton genre de sauter sur les mecs comme ça. Moi qui te pensais coincée, finalement t’es qu’une petite dévergondée. » Il fit le pas de trop et colla son corps contre le sien, approchant doucement son visage du sien. La jeune fille était contre l’étagère, incapable de bouger ou de se débattre vu l’étroitesse de la pièce. Il approcha doucement ses lèvres puis lui murmura « Dommage que je ne sois pas un mec facile... Et qui plus est, pas intéressé. » avant de reprendre sa place près de la porte. Il se posa en face d’elle, bras croisés, attendant qu’elle réagisse.

Seulement London n’était pas réputé pour sa patience, il avait toujours ce besoin constant de s’agiter, que ce soit en classe à remuer dans tous les sens, à bouger sa jambe et à taper le rythme du pied, sûrement à cause de ce sentiment d’enfermement qu’il avait du mal à supporter. Déjà que le fait de se sentir piégé à l’intérieur du lycée lui était intolérable, ce petit placard lui faisait péter les plombs. Si au moins il avait pu faire les cent pas, mais même pas, il devait en plus rester immobile. Il sentait la colère monter en lui, comme une boule de chaleur qui grimpait de ses tripes à son cœur, si personne ne leur ouvrait dans les prochaines minutes, il allait faire un malheur. Il recommença à tambouriner à la porte comme un malade « OUVREZ-NOUS !!!!!!! ». Sans succès. Il enfonça son poing dans le bois de la porte. « Fais chier ! Merde ! » Il venait de se faire mal à la main, peut-être même bien de se fracturer quelque chose… Si en plus ce petit séjour lui coutait sa guitare, il n’aurait plus qu’à aller se pendre dans une des salles de classe. Il s’en voulait tellement d’être venu dans ce coin, puis après tout, pourquoi est-ce qu’il avait ressenti le besoin de remercier Rosie, cet examen, il l’avait réussi tout seul. Puis de toute façon, si ce « petit problème » était noté en tant qu’absence sur sa fiche, il était foutu et tous ses efforts seraient réduits à néant. Vraiment, s’il y avait un Dieu de l’école, clairement, il n’avait London dans ses petits papiers. Les lèvres pincées, il s’en prit à sa tutrice. « C’est de ta faute de toute façon Miss Parfaite, si t’avais pas été là, que tu n’étais pas entrée dans cette putain de salle hier soir, on n’en serait pas là. Ha tu fais moins la maline maintenant… Au final, je vais me faire virer à cause de cette absence et t’auras ça sur la conscience, bien joué tutrice. »
 

Une petite lueur d'espoir s'était mise à briller dans  les prunelles azurées de la jeune fille et elle posa les yeux sur le téléphone de London en croisant les doigts pour qu'il puisse bel et bien rejoindre quelqu'un. Un peu déçue lorsqu'il prétexta ne plus avoir de batteries, Rosie fit la moue. « J'ai laissé le miens dans mon casier. » laissa-t-elle tomber comme une évidence alors qu'elle n'avait absolument aucun moyen de les sortir de là. Agrippée à London lorsqu'elle crut qu'un petit animal la prenait comme dessert, elle dut admettre qu'elle avait paniqué pour rien et elle se mordit la lèvre avant de reculer une nouvelle fois contre l'étagère, un petit sourire en coin alors qu'elle baissait les yeux sur ses chaussures. Elle releva les yeux sans comprendre lorsqu'il s'adressa à elle, voulut se reculer davantage, mais se heurta en vain à l'étagère contre laquelle elle était déjà appuyée. « London, qu'est-ce que ... » Elle sentit les battements de son coeur s'accélérer lorsque la distance qui les séparait fut réduite à néant, ses sourcils se froncer légèrement alors qu'il approchait ses lèvres des siennes. Il n'avait pas le droit de l'embrasser. Pas comme ça, pas maintenant. Pas ... Surprise par ses paroles, la jeune fille resta muette un long moment après qu'il se soit éloigné, sous le choc. London n'avait jamais vraiment de mal à la surprendre, encore moins depuis leur rencontre personnalisée le jour d'avant, mais cette fois, il l'avait définitivement laissée sans mot. Il n'était pas intéressé. Bien sûr qu'il n'était pas intéressé ! Elle savait que ses propos n'auraient jamais dû la toucher ou même la blesser, mais elle sentit une boule se nouer dans le creux de sa gorge alors qu'elle baissait les yeux, incapable de soutenir davantage le regard du jeune homme.

Elle ne releva les yeux que lorsqu'il se remit à tambouriner à la porte du petit placard et elle n'eut pas le courage de lui dire que personne ne viendrait à leur secours à cette heure, que ça ne servait à rien de s'égosiller. Encore sous le choc, les doigts agrippés à l'étagère qui se trouvait derrière elle et qui n'avait pas bougé vu le peu d'espace qui leur était accordé. Elle haussa un sourcil étonné lorsqu'il décida de s'en prendre à elle et croisa les bras pour écouter ses conneries jusqu'au bout. Franchement, les hommes avaient donc tous cette fâcheuse manie de tout mettre sur le dos des autres lorsque tout ne fonctionnait pas comme prévu ? C'en était presque pitoyable. « Je te rappelle que c'est toi qui m'a emmenée ici. » fit-elle simplement en soutenant son regard cette fois. Ses prunelles s'attardèrent un moment sur la mâchoire du jeune homme, sur ses lèvres aussi, jusqu'à ce qu'elle plonge à nouveau ses iris azurés dans le creux des siens. Lentement, elle s'approcha un peu de lui jusqu'à le plaquer contre la porte avec douceur, glissant délicatement son doigt sous le menton de London afin de l'obliger à la regarder. « Je savais que tu pouvais réussir. Mais c'est malhonnête de ta part de dire que tout ce qui t'arrive est ma faute. » murmura-t-elle simplement en inclinant très légèrement la tête. Il pouvait dire ce qu'il voulait et lui imputer tous les maux du monde, mais il savait tout aussi bien qu'elle qu'il n'aurait jamais pu réussir cet examen sans elle. Il était doué, bien sûr, mais il n'avait pas suffisamment confiance en lui et elle était prête à l'aider pour ça. À lui montrer qu'il avait beaucoup de talent, lui aussi, et qu'il n'avait rien à envier aux autres.

« Et puis, si tu te fais virer, tu ne pourras t'en prendre qu'à toi-même. » ajouta-t-elle, un peu de mauvaise foi, alors qu'elle reculait d'un pas, effleurant sans le vouloir la main du jeune homme. Elle vit s'étaler sur ses traits l'ombre d'une grimace et elle fronça aussitôt les sourcils en attrapant délicatement sa main. « Je ne savais pas qu'un peu de bois pouvait te faire mal. Je croyais que tu avais l'habitude des bagarres. » le taquina-t-elle en se mordant légèrement la lèvre, se retournant finalement afin de fouiller l'étagère à la recherche d'un bandage ou du moins, de quelque chose pour serrer un peu sa main le temps que quelqu'un regarde ça d'un peu plus près. Elle récupéra une bandelette de tissu qui pourrait faire l'affaire et se retourna vers London en tendant la main pour qu'il lui laisse la sienne.