Et voilà la vie de mon personnage...

« A tribord toute, tas de chiens galeux ! protesta le capitaine du navire avec les mains sur les hanches en signe de supériorité. Puis, lançant un regard sur le côté il ajouta : « et débarrassez-vous donc de ces prisonniers ! Par-dessus bord ! » Soudain, deux personnes la prirent par les bras, sous ordre de leur chef. On la força à avancer jusqu’au rebord de l’embarcation, prêts à la faire sombrer dans les abysses de l’océan. Toutefois, fière flibustière qu'elle était, elle n'allait pas se laisser faire aussi docilement. Ces filous n’avaient pas fini d’entendre parler d'elle ! Ca non ! Le trésor des pirates serait sa récompense, à elle, elle le trouverait avant et ça serait bien fait pour eux. Après tout, elle n'était pas une fillette qui avait peur de son ombre ! Non, elle elle était une pirate, une vraie ! Même mieux, une corsaire ! Aussi, alors que qu'elle maudissait en silence, levant parfois les yeux au ciel devant sa bêtise, ce capitaine de malheur qui lui sortait pas les trous de nez continua de maugréer en sortant à foison des ordres à ses matelots. Faisant abstraction de lui aussi bien que possible, elle observait devant elle l’écume imaginaire se briser sur la coque de leur bateau, les vagues déferler et l’air marin emplir ses narines en attendant paisiblement sa sentence. Car oui, pour jouer au jeu du pirate, il fallait une imagination débordante ! Tout était question d’imagination. Parce qu’au fond, elle savait bien que les deux gignoles qui la tenaient étaient deux gamins de huit ans, tout au plus. Ils n’étaient nullement – et très loin – des vieux loups de mer expérimentés qui voguaient sur des pavillons de forbans. Pour tout dire, à eux deux, ils n’avaient certainement jamais mis un orteil sur le pont d’un bateau ! Elle non plus à vrai dire. Mais elle avait lu beaucoup de livres d’aventures, alors elle était déjà une pirate dans son esprit. D’ailleurs, les mots savants qu'ils employaient à tord et à travers, ils venaient tous de leurs lectures. On leur aurait demandé la signification de « tribord » ils n’auraient certainement pas été capables de le définir. Trop compliqué pour eux. Tribord, c’était tribord. Juste un mot qui était sans cesse répété dans « L’île au trésor » de Stevenson. Puis ça sonnait bien, c’était l’important.

Elle poussait un dernier soupir. C’était la fin. Game over, tout était perdu. Elle regardait du coin de l’œil le capitaine - qui n’était autre que sa soeur jumelle en réalité, mais passons sur ce détail - pour faire comme dans les films : la fin sentimentale, la tension dramatique de dernière minute, le dernier regard avant le grand saut. Oui, cela avait beau être un jeu elle s'immergeait toujours dans ses personnages. Durant leurs pauses jeux de seize heures au parc ils étaient sa seconde peau. Pourtant on ne peut pas dire qu’au début ses copains avaient été très emballés à l’idée de la prendre avec eux pour la faire participer avec sa soeur. Mais elle leur avait bien remis les points sur les  « i » à tous. Parfois, il arrivait même qu'elle soit plus intrépide qu’eux. Avec  sa jumelle  elles faisaient les quatre-cent coups, à tel point que les autres n’arrivaient plus à les suivre et avaient peur qu'elles se fassent mal un jour ou l’autre. Mais elles étaient dans leur bulle. Comme des siamoises. Plus besoin de mots elles se comprenaient instinctivement et parfois il était nécessaire de traduire oralement leurs pensées aux autres sinon ils restaient avec la bouche grande ouverte à gober des mouches sans savoir quoi faire.

D’un coup ferme ils la firent avancer brusquement vers la planche des exécutés. Elle avalait sa salive. Puis enfin, ils la poussèrent par-dessus bord. Autrement dit, ils l’envoyèrent dans le toboggan pour la faire descendre de la maison en plastique à deux étages qui leur servait de vaisseau. Elle rebondit aisément sur le sol et se fit légèrement mal en tombant, son genou écorché saignant quelque peu mais rien de bien méchant en fin de compte. Elle lança ensuite un regard à sa soeur, toujours perchée sur la maisonnette en mettant une main au-dessus de ses yeux pour ne pas avoir le soleil dans la tête. « Lexis, maintenant c’est à moi de faire le cap’tain hein ? » Sa soeur acquiesça et descendit à son tour le toboggan. Dans leurs jeux, il n’y avait jamais de différence, chacune leur tour elles testaient les rôles pour ne pas faire de jalouses. Toutefois, alors que sa soeur venait observer sa main blessée – elle l’avait certainement vu esquisser une grimace – elle passa ses bras dans son dos. Elle savait ce qu’elle allait faire et elle n’avait pas envie qu’on la pouponne pour une simple égratignure. Faisant un bisou sur la joue de sa jumelle au passage, elle rejoignit de nouveau leur bateau. Et alors qu'elle gravissait la grille de cordages pour arriver au second étage sans passer par les escaliers, elle perçu la voix de leur soeur aînée les appeler les appeler.

Cela faisait quatre ans jour pour jour que leur père était décédé. Mr. Bennet, officier Bennet, soldat gradé, récompensé, mari aimant, père exemplaire. En soit tous les éléments réunis pour une famille idéale d’une petite ville des Etats-Unis comme l’était Pearl Trees, portrait parfait si l’un des piliers de la famille n’était pas six pieds sous terre et l’autre chaque soir au fond de son verre. Les cadettes Bennet n’avaient que peu de souvenirs de leur paternel, elles le connaissaient à travers les récits de leur sœur ou les albums souvenirs de leur mère. Quelle triste histoire que celle de Madame Bennett, une femme brisée par le chagrin, une veuve au cœur lourd qui se refugiait dans les souvenirs d’un vie passée, d’un bonheur effacé. Chacun vit le manque à sa façon, la mère de Calliopée, elle, avait trouvé refuge dans l’alcool, noyant son désespoir et cet abandon dans ses bouteilles de vin. Malheureusement pour la fillette qu’était Calliopée elle n’était plus la même femme depuis qu’il les avait quitté, elle n’était plus que l’ombre d’elle-même, un fantôme voguant dans les pièces silencieuse de la maison aux volets bleus. Une poupée cassée qui se terrait dans sa chambre adressant à peine un regard à ses filles. Ce fut Vithanie qui se chargea de prendre la tête de cette famille qui tombait en lambeaux,  son oncle et sa tante l’épaulant du mieux qu’ils le pouvaient. Callie finit par développer un masque d’insouciance qui la caractérisait tant, protégeant sa jumelle aussi bien qu’elle aimait la garder sous son influence. Si Vithanie était la figure maternelle, la figure d’autorité, responsable et ferme, Calliopée était l’enfant rebelle, qui ne faisait jamais ce qu’on attendait d’elle, toujours cherchant à repousser ses limites comme celles des autres. Elle poussait à bout ses amis comme sa famille et c’est bien souvent Alexis qui se retrouvait à devoir faire tampon entre ses sœurs, à calmer le jeu, apaiser les esprits. Il n’y a pas de familles idéales, il y a seulement les familles qui le font croire.


Pour compenser sa vie familiale plus que désastreuse Callie avait pris l’habitude d’exceller dans tout ce qu’elle entreprenait, vie sociale au beau fixe, il était de même pour sa scolarité qui se portait au mieux, surdouée Callie n’avait jamais vraiment travaillé pour faire partie de l’élite, elle était naturellement bonne. De toute manière elle ne laissait pas de place à la médiocrité, enviée et admirée elle devait être cette fille sous les projecteurs, elle devait être la meilleure partout et tout le temps, c’était le seul moyen qu’elle avait trouvé pour ne pas perdre pied. Si elle n’était pas la plus brillante, la meilleure des battantes, la plus couronnée de succès alors elle ne se reconnaissait plus. Présidente du comité des élèves, reine de promo, la Queen Bee par excellence c’était elle. Pourtant sous cette façade de jeune fille populaire à qui tout souriait se cachait une véritable solitude, un désir de reconnaissance si profond, se sentant rejetée depuis la mort de son paternel elle avait besoin d’être aimer des autres. Elle était dépendante de leurs attentions, elle recherchait sans cesse leur considération. Seule sa jumelle savait cela, Alexis était la seule qui connaissait réellement Calliopée, la seule qui savait comment la prendre, lui parler, ce qu’elle tentait de dissimuler au reste du monde. Ce pourquoi Lexis subissait bien souvent les humeurs de sa sœurs, ses crises de colères comme ses déboires et parfois ses coups bas, elle la calmait, lui pardonnait. A chaque fois. Pourquoi ? Tout simplement car elle était la seule à pouvoir le faire, si elle lui fermait sa porte elle se doutait bien que Callie n’aurait plus aucune limite. Elle était quelqu’un d’impulsif, impulsivité qui passait pour de la spontanéité auprès des plus naïfs, Calliopée était cette fille amusante, pleine de vie qui adorait attirer l’attention sur sa personne, les autres ne percevaient pas les blessures qu’elle camouflait derrière un sourire mesquin, jamais. Les autres s’en tenaient à la surface, les autres croyaient ce qu’elle voulait bien leur laisser penser, Callie avait toujours manipulé son monde et ce depuis toute petite, elle tenait les gens à l’écart car elle n’accordait pas sa confiance. Ne laisser personne l’atteindre était une façon de ne jamais leur donner la possibilité de la décevoir non plus, seulement cela créait aussi un vide immense autour d’elle. Elle s’immergeait dans une bulle, bulle dans laquelle seule sa famille pouvait entrer et pourtant elle leur faisait la vie dure le trois-quarts du temps, néanmoins ils étaient ceux avec qui elle était sincère, entière, vraie. Vithanie et elle partageaient une complicité rare au sein d’une fratrie, elles avaient leurs propres habitudes, leurs petites manies dont la fâcheuse de materner quelque peu Lexis. Calliopée avait toujours ressentis le besoin, le devoir même de veiller sur sa sœur, de faire taire les moqueries qui émanaient pourtant d’adolescents qu’elle côtoyait à longueur de journée. S’en prendre à Alexis était comme s’en prendre à elle, elle clamait que c’était une question d’honneur mais il n’en était rien, sa jumelle était la seule chose qu’elle ne voulait pas qu’on lui prenne, qu’on lui abîme ce pourquoi elle mettait toujours grand soin à la venger et ce de manière très mesquine quelques fois, elle n’avait que peu de scrupules pour ceux qui s’en prenaient aux siens. Pourtant malgré ce que sa sœur vivait au quotidien elle s’appliquait à réserver le même sort à d’autres, leur faisant vivre un enfer dans l’espoir de se sentir exister.

C’était le cas pour Seth, un jeune homme des plus réservé qui lui courait après depuis le collège. Il n’était pas tellement repoussant mais elle et lui ne faisaient pas partie du même monde, elle était en haut de l’échelle sociale et lui se trouvait au ras des pâquerettes, bien qu’il était adorable elle ne se voyait pas du tout sortir avec. Calliopée n’était pas tellement une fille superficielle, elle s’en donnait seulement l’apparence, non, ce qu’elle redoutait c’était le regard des autres constamment braqué sur elle. Elle ne pouvait pas se permettre de ternir son image, elle en avait terriblement peur. A quoi bon se vanter que l’on se fiche de ce que peuvent penser les gens ? C’est faux, tout le monde juge tout le temps, les critiques et les rumeurs fusent et la jeune fille ne voulait pas être détruite par les médisances des autres, elle ne l’aurait pas supporté. Alors oui, Seth était gentil et des plus patients avec elle, certes elle aurait pu lui laisser sa chance, d’ailleurs quand ils étaient seuls tous les deux elle baissait sa garde et se confiait à lui, elle lui parlait même parfois de son père et du trou béant qu’il avait laissé dans leur vie. C’était le seul qui l’écoutait, l’écoutait vraiment, il ne faisait pas semblant de s’intéresser à elle pour l’avoir dans son lit, non elle savait qu’il voyait au delà de l’image qu’elle renvoyait au reste du monde. Il était une épaule sur laquelle se reposer, un soutient au quotidien. Ils avaient même échangé un baiser au cours d’une soirée où elle avait trop bu, prévenant comme il était il l’avait raccompagné sans même chercher à profiter de la situation. En fin de compte il ne méritait pas la manière dont elle le traitait. En public elle l’ignorait, faisait comme-ci elle ne le connaissait pas et se moquait de lui avec ses amis. Elle détestait avoir ce genre de comportement car elle n’était pas ce genre de fille, il était son ami, bien plus que tout ces imbéciles d’ado avec qui elle traînait tout le temps.

Seulement un jour les choses dégénérèrent, jamais elle n’aurait pensé que cela pourrait aller si loin, pourtant ce fut le cas. Alors qu’elle était venue le retrouver chez lui le jeune homme semblait assez perturbé par le comportement de Callie, campant sur ses positions pensant qu’il lui pardonnerait comme à son habitude elle ne s’excusa même pas de ce qu’elle lui faisait subir tous les jours au lycée. Pour la première fois ils se disputèrent, Seth s’énerva désemparé il ne savait plus que faire pour gagner l’amour de son amie, ce qu’il ignorait alors c’est qu’elle partageait déjà bel et bien ses sentiments bien qu'elle se refusait à ouvrir les yeux. On dit qu'on se rend compte de l'importance des choses seulement une fois qu'on les a perdu, c'est surement vrai...
- Callie ! Callie si tu pars j-je...
- Tu quoi ? demanda-t-elle exaspérée.
- Je me tue !
- Mais oui c’est ça !
La jolie brune quitta sa chambre sans même se retourner, les menaces n’étaient pas efficaces sur elle et elle trouvait cela vraiment immature de sa part. D’ailleurs elle le lui reprocherait la prochaine fois qu’ils se verraient.

Mais…il n’y eut pas de prochaine fois. Jamais, jamais elle n’aurait pensé qu’il le ferait, jamais elle ne s’en serait douté même une seconde. Pourtant Seth ce jour là s’était suicidé et malheureusement pour la jeune fille elle n’aurait plus l’occasion de s’excuser auprès de lui ou lui dire combien il comptait à ses yeux et combien il l’avait aidé. Lorsqu’on lui annonça la nouvelle le lundi matin Callie ne pu le croire, elle se refusait à admettre cette réalité bien trop dure à ses yeux. Le choc que lui causa la nouvelle fut tel qu’elle s’empressa d’aller vomir dans les toilettes du lycée. C’était comme si tout son être rejetait cette perte, comme si son corps entier souffrait de la mort de Seth. Personne ne comprit les raisons de sa douleur, Lexis arriva à peine à calmer sa crise de panique, tous les regards fixés sur elle mais pour des raisons différentes cette fois. Après l’enterrement la jeune fille resta des semaines cloitrée chez elle, refusant de sortir ou de parler à qui que ce soit. Elle n’arrivait pas à digérer le départ du jeune homme, il l’avait abandonné là, dans ce purgatoire qu’elle ne supportait plus, dans cette cage dorée à laquelle elle ne trouvait plus d’issue. Plus que le manque intolérable de sa présence c’est une culpabilité sans nom qui la rongeait de l’intérieur, quelque chose s’était brisé en elle ce jour là et rien ne pourrait le réparer. Comment avait-elle pu lui répondre cela ? Comment avait-elle-même osé ? C’était uniquement sa faute s’il était mort, elle était responsable de ce drame, de cela elle en était persuadée. Son fantôme la hantait, derrière chaque regard, à chaque pas qu’elle faisait, elle ne pouvait se le pardonner sachant qu’elle avait son sang sur les mains.  Il y a des chagrins d'amour que le temps n'efface pas et qui laissent aux sourires des cicatrices imparfaites.



Folle de rage elle ouvrit brusquement la porte d’entrée et monta les marches de l’escalier quatre par quatre ses deux sœurs lui emboîtant le pas, Vithanie criait derrière elle tout aussi énervée tandis que Lexis tentait de calmer les deux furies qui se donnaient en spectacle depuis la cérémonie de remise de diplôme qui avait eu lieu un peu plus tôt dans la journée. Elles s’étaient brillamment contenues toute l’après-midi jusqu’à finir par exploser dans la voiture sur le chemin du retour. Alexis assistant impuissante au déchirement de ses sœurs sur le siège arrière avait du affronter le regard interloqué des autres automobilistes qu’elles pouvaient croiser. A présent de retour chez elles Vithanie et Callie n’avaient pas cessé leurs hurlements bien au contraire, leur querelle prenait de plus en plus d’ampleur sous le regard inquiet de leur sœur. « Alors c’est ça tu comptes juste foutre le camp ? Il ne t’est pas venu à l’esprit qu’on avait besoin de toi ici ? » Reprocha Vithanie les bras croisés sur sa poitrine tandis que Calliopée retirait sa robe et sa coiffe de diplômée et les jetaient sur le lit avant de sortir de son armoire une grande valise qu’elle ouvrit en quatrième vitesse. « Oh enfin Vithanie ! Maman est assez grande pour se débrouiller seule, à présent elle va mieux cesse de veiller sur elle et songes un peu à toi ça te changera ! » Elle la regardait à peine se contentant de balancer toutes les affaires qui lui tombaient sous la main dans sa valise « Comme toi tu veux dire ? C’est bien ça le problème, tu devrais toi songer à être un peu moins égocentrique ! » « Parce que c’est égocentrique de vouloir partir à New-York ? J’ai été prise à Colombia ! Tu sais combien c’est difficile d’y rentrer. Pourquoi est-ce que tu ne peux pas te réjouir pour moi ? » Elle soupira et traversa le couloir jusqu’à la salle de bain, suivit par Vithanie qui ne la lâchait pas d’une semelle et lui répondait sur un ton tout aussi exaspéré « Tu aurais pu nous en parler avant non ? C’était la moindre des choses, une décision comme celle-ci ne se prend pas à la légère Callie. Ce n’est pas un de tes jeux ! » « Je le sais très bien ! Pourquoi est-ce que tu es aussi butée ? Lexis a compris elle ! » D’un geste vif elle décala sa sœur pour revenir dans sa chambre et cette dernière se tourna vers Alexis le regard accusateur, celle-ci haussa les épaules ne sachant que répondre et ne désirant pas prendre parti dans cette dispute qui dégénérait de plus en plus. « Tu étais au courant ? » « Ce n’était pas à moi de t’en parler… » « Je vois…Chacune a décidé d’avoir ses petits secrets. » Vithanie se sentait surtout blessée par le manque de sincérité de sa sœur, elle se sentait trahis par ce départ précipité, départ qui heurtait également Alexis qui avait pourtant tenté de soutenir sa jumelle dans son choix. Calliopée prenait souvent ses décisions sur un coup de tête ce qui inquiétait fortement son aînée, celle-ci avait certes été réfléchie mais elle était également une fuite en avant comme tout ce qu’elle entreprenait depuis quelques temps. Fuir son quotidien, fuir cette ville, ses remords et surtout les démons du passé. « Pourquoi tu n’as pas été honnête avec moi ? » « Je savais que tu le prendrais comme ça. » « Partir n’est pas la solution tu sais Callie ? Fuir ne t’avancera à rien. Ta vie est ici avec nous… » D’un coup sec elle referma sa valise, l’empoigna et s’avança vers sa sœur « Justement c’est ma vie, la mienne pas la vôtre. La mienne. » Son ton était cassant, son regard dur, la vérité c’est que Vithanie avait visé juste ce pourquoi Callie s’était empressée de mettre une barrière entre elles. Elle jeta un rapide coup d’œil à Lexis fort mal à l’aise dans cette situation avant de se décaler pour passer et dévaler les escaliers jusque dans l’entrée. Tandis qu’elle enfilait sa veste sa sœur continuait de tenter de la résonner, lui demandant d’attendre, de réfléchir encore un peu mais Calliopée campait ses positions ne voulant rien savoir. Le ton montait de nouveau chez les Bennett et il était désolant de voir les horreurs que chacune pouvaient se lancer au visage « JE NE MOISIRAIS PAS ICI COMME MAMAN ! » Ce fut sur ces dernières paroles blessantes que la jeune fille claqua la porte.

Il est tellement important de laisser certaines choses disparaître.De s'en défaire, de s'en libérer. Il faut comprendre que personne ne joue avec des cartes truquées. Parfois on gagne, parfois on perd. N'attendez pas que l'on vous rende quelque chose, n'attendez pas que l'on comprenne votre amour. Vous devez clore des cycles, non par fierté, par orgueil ou par incapacité, mais simplement parce que ce qui précède n'a plus sa place dans votre vie. Faites le ménage, secouez la Poussière, fermez la porte, changez de disque. Cessez d'être ce que vous étiez et devenez ce que vous êtes.


New-York puis l’Europe grâce à l’ISEP, la France, l’Italie, Calliopée avait rencontré tant de monde, découvert tant de nouvelles choses qu’il était impensable pour elle de faire marche arrière, de se retourner sur cette vie d’avant qui ne lui manquait pas. A ce stade elle n’avait pas seulement tourné la page, elle avait carrément changé de livre. Elle n’avait jamais été faite pour la petite existence étriquée que lui réservait Pearl Trees, ce n’était pas ce qu’elle désirait. Ces rêves étaient faits de grandes perspectives, de voyages, de couleurs, son ancien quotidien lui semblait terne et mort. Rien ne la poussait à revenir, rien…Si ce n’est sa famille. On a souvent tendance à croire que le passé est le passé. Qu'on ne le reverra plus jamais. Comme si il était inscrit sur une ardoise magique et qu'on l'avait effacé. On croit aussi qu'avec les années, on a passé à la trappe ses erreurs de jeunesse, ses amours de pacotille, ses échecs, ses lâchetés, ses mensonges, ses petits arrangements, ses forfaitures. On se dit qu'on a tout bien balayé. Bien tout fait glisser sous le tapis. On se dit que le passé porte bien son nom : Passé. Enterré. On a commencé une nouvelle page. Une nouvelle page qui porte le beau nom d'avenir. Une vie qu'on revendique, dont on est fier, une vie qu'on a choisie. Alors que, dans le passé, on ne choisissait pas toujours. On subissait, on était influencé, on ne savait pas quoi penser, on se cherchait, on disait oui, on disait non, on disait chiche sans savoir pourquoi. C'est pour cela qu'on a inventé le mot « passé » : Pour y glisser tout ce qui nous gênait, nous faisait rougir ou trembler. Et puis un jour, il revient. Il emboutit le présent. S'installe. Pollue. Et finit même par obscurcir le futur…

Son passé s’était rappelé à elle d’une manière des plus violentes, Vithanie étant victime d’un accident qui la plongea dans un profond sommeil avant de la ramener parmi les vivants. Mais quel retour étrange que celui qui nous renvoie au visage une vie dont on ne se souvient pas, dans laquelle on ne se reconnait pas. Calliopée n’était pas là lorsque cela s’était produit, ni à son réveil, elle culpabilisait de son absence tout en en voulant à sœur de l’arracher à ses rêves, à ce quotidien qu’elle chérissant tant. Rentrer, tout quitter. Partagée entre son devoir et ses désirs elle céda aux supplications de Lexis qui lui demandait de repartir avec elle pour Pearl Trees. Lorsqu’elle posa sa valise sur le perron de la vieille maison aux volets bleus elle resta un instant silencieuse, Lexis parlait, sa mère aussi bien heureuse de retrouver ses jumelles mais Callie n’écoutait pas. Elle monta dans son ancienne chambre, chambre qu’elle avait abandonné quelques années plus tôt, assise sur ce lit elle contempla sa coiffeuse et le tableau de liège au dessus sur lesquels était épinglé un tas de photos. Certaines avec ses sœurs, d’autres avec ses amis de lycée, d’autres encore au bal de fin année où elle avait été couronnée reine de leur promotion. Que tout ceci lui paraissait futile désormais, elle attrapa la tiare posée fièrement en haut de sa coiffeuse, rien n’avait bougé depuis son départ, c’en était presque affligeant. Elle déglutit dégoutée d’être de retour ici, les larmes bloquées au coin des yeux ses souvenirs remontaient petit à petit à la surface. Tout ce qu’elle avait pris soin d’enterrer depuis deux ans. Avec le temps, la douleur avait pourtant commencé à s'effacer, et c'était plus facile de simplement laisser tomber. Elle avait cru, du moins, que ça l'était. Mais dans chaque garçon qu’elle avait rencontré, les années qui avaient suivies, elle se surprenait à le chercher.

Le pire dans tout cela c’est qu’elle comprit bien vite que Vithanie ne se souvenait de rien. Le médecin avait eu beau les prévenir lorsqu’elles allèrent la retrouver à son appartement Callie ne parvint pas à être chaleureuse avec elle, elle s’en voulait d’être partie ainsi, d’avoir gardé le silence durant deux ans. Têtue l’une comme l’autre Lexis avait dû faire l’entremetteuse, donnant à chacune des nouvelles de l’autre tandis qu’elles se refusaient à faire le premier pas. A présent leur sœur avait tout oublié et l’avait accueilli déboussolée et souriante, la serrant dans ses bras sans avoir la moindre idée de ce qui avait pu se passer entre elles. Elle ignorait même son départ de Pearl Trees et en vue de tous ces chamboulements il était déconseillé de mettre de nouveau les voiles. D’après ses docteurs Vithanie avait besoin de stabilité et plus que tout du soutient de sa famille ce qui devenait de plus en plus difficile pour Calliopée « Dis, tu penses à New-York parfois ? » Demanda Lexis à voix basse, couchée près de sa jumelle qui était le dos tournée à elle, il leur arrivait souvent de dormir ensemble, surtout depuis leur retour en ville. Une vieille habitude qu’elles avaient autrefois. « Pourquoi tu y penses toi ? » Une des fâcheuses manies de Calliopée était souvent de répondre à une question par une autre, elle évitait ainsi de révéler des choses dont elle n’avait pas envie de parler. Elle n’était pas du genre à faire des confidences, secrète elle l’avait toujours été, même avec sa sœur qui devait la plupart du temps deviner ses pensées si elle voulait savoir quelque chose. « Ca m’arrive…Mais Pearl Trees me manquait et puis, je préfère être là, pour Vithanie. » Dit-elle tout en fixant le plafond de la chambre, Callie resta silencieuse tandis que sa sœur se tournait à présent vers elle, fixant ses omoplates à défaut de pouvoir la regarder dans les yeux « Tu dors ? » « Oui. » Sa réponse réussit à décrocher un sourire de Lexis qui en profita pour enchaîner « Et pourquoi on ne jouerait pas au jeu des dix questions tiens ? » « Il ne t’en reste plus que huit dans ce cas. » Répondit Callie sans pour autant se retourner vers sa jumelle ce qui ne découragea pas cette dernière pour autant « Hmm…Ton plat préféré ? » Bien évidement c’était un peu bête car au fond elles se connaissaient quasiment par cœur toutes les deux mais cela amusait Lexis et Callie se prêtait parfois à ce petit manège « Le beurre de cacahouète » « C’est pas un plat. » « Plus que sept. » L’informa-t-elle « Un de tes rêves ? » « Voler. » « Voler comment ? » « Comme un oiseau. » « Tu peux pas voler comme un oiseau. » « Je sais. » « Ta ville préférée ? » « Prachinburi. » Lexis fronça les sourcils quelque peu surprise par la réponse « C’est où ? » « En Thaïlande. » « Tu compte repartir ? » « Quoi ? » Cette fois ce fut au tour de Calliopée d’être quelque peu déstabilisée par la question de sa sœur « Tu compte repartir ? » « Joker. » « Tu dois répondre à mes dix questions ! Est-ce que tu compte repartir à New-York ? » « Ca fait onze. » « Onze ? » « Douze. Tu m’as posé douze questions. Bonne nuit. » La conversation se termina sur un soupir de Lexis qui décida de se tourner elle aussi de l’autre côté du lit. Dos l’une à l’autre, leur peau se touchant dans la pénombre un lourd silence s’installa dans l’habitacle avant que Lexis ne le brise de nouveau quelques minutes plus tard « Tu dors ? » « Oui. »

Laissez-moi vous raconter un événement marquant de ma vie...

Tu reprends peu à peu tes esprits alors que tu pars dans un fou rire inexpliqué, une vraie cinglée. Tu rigoles comme une dingue à t’en décrocher la mâchoire tandis que les formes colorées dansent autour de toi. Tu relèves la tête et réalises, ah oui les souvenirs te reviennent…Tu es à une fête dans le nord de la ville, chez un crétin plein au as, à dire vrai tu ne te rappelles même plus comment tu es arrivée ici mais te voilà. La soirée bat son plein tandis que toutes ces nanas en chaleur s’échauffent sur la piste, se frottant comme pas permis sur ces types déjà trop bourrés pour s’apercevoir qu’ils sont sur le points de se taper des tons. Les sons te parviennent enfin aux oreilles et tout reprend vie autour de toi, tu sors de ta démence et retrouves tes moyens. Défoncée, certes tu l’es encore mais tu arrives tout de même à te rendre compte du monde qui t’entoure. Soudain tu sens des lèvres sur ta peau diaphane, tu tournes la tête et vois ce type allongé sur toi, t’embrassant dans le cou. Quel est son nom ? D’où est-ce qu’il sort ?! Tu n’en sais rien et cela te passe par-dessus là tête « Vires tes sales pates de moi où je te jure que je te castre » lui rétorques-tu un sourcil arqué, d’abord surprit il se recule un peu effrayé et tu en profite pour te relever et filer dans la salle d’eau. Là tu te débarbouille et récupère enfin toute ta tête. Puis, alors que tu t’apprête à quitter la salle de bain tu aperçois, dans l’embrasure de la porte d’entrée, deux nouveaux arrivants, surement des amis d’amis de votre hôte qui viennent aussi profiter de la soirée. Parmi l’un deux un visage t’interpelle immédiatement…Ahilan. Cela fait des semaines que tu ne l’as pas vu, tu ne sais même pas pourquoi. A dire vrai ce n’est pas comme si vous étiez amis ou quelque chose du genre, dès qu’il te voit il prend grand soin de te repousser, non vous vous êtes plutôt du genre à vous en faire voir de toutes les couleurs à chaque fois, pourtant étrangement une part de toi sait qu’il t’a manqué. Un sourire malicieux se dessine alors sur tes lèvres alors que tu retournes dans la salle de bain. Une autre fille l’occupe, tu la vires sans ménagement aucun « Dégage de là » choquée elle n'a même pas le temps de répliquer que tu la pousses hors de la pièce. Un vraie garce, mais tu ne t’en es jamais caché. Rapidement tu te remets du rouge à lèvres sur la bouche, ajustant ta robe tu te contemples silencieuse dans la glace, te demandant si tu es assez jolie, si tu es assez bien. Tu as beau te donner cet air en fait tu n’es jamais sure, surtout avec lui.

D’un pas assuré tu t’engages alors dans le salon et fait semblant de heurter le jeune homme par inadvertance, là, tu la joues surprise de le voir ici comme si tu venais de t’en apercevoir « Tiens…mais c’est que le proprio laisse vraiment entrer n’importe qui » lui lances-tu en ne quittant pas son regard, tu dis cela et pourtant tu es bien contente qu’il soit là, tu sens que les choses seront bien plus amusantes. Le voilà face à toi, il te dévisage, tu le dévores des yeux, tu le toises, le scrutes, détaille le moindre grain de peau sur son visage. Il t’attire toujours autant tu ne le nie pas, parce qu’il y a cette alchimie entre vous, qui fait que c’est si bon et en même temps qui vous empêche de réellement vous lier. « T'as bien raison, je pensais pas tu serais sur la liste. Tu t'éclates ? » Tu lui envoies une pique, il répond sur le même ton, pourtant un sourire taquin orne son visage comme le tien, au fond ce n’est qu’un jeu rien d’autre. Tu le prends, il te jette, tu le provoques, il t’insupporte, et ainsi de suite sans fin. C’est bien cela qui est si grisant, il te fascine et te révulse c’est si contradictoire mais avec Ahilan cela ne changera jamais. D’ailleurs tu ne veux pas que cela change, le changement te fait peur, tu le repousses et le nie, le refuse. Il n’est qu’à quelques centimètres de toi et pourtant semble si loin, est si loin…Tu le veux mais il ne sera jamais réellement dans tes bras, comme tu ne lui appartiendras jamais non plus. Tu essayes d’aller au plus simple mais il n’en est rien, bien évidement cela tu l’ignores et tu ne peux pas ouvrir les yeux sur tes véritables désirs alors tu te contentes d’élargir un peu plus ton sourire avant de rétorquer « Maintenant bien plus c’est certain… » Tu mordilles légèrement ta lèvre inférieure descendant ton regard perçant sur son corps, il est clair qu’à présent que tu sais qu’il fera partie de la soirée tu y devines une issue bien plus amusante. Oui tout ceci te distrait, cela te distrait de jouer avec lui, de faire l’ignorante qui n’a pas compris qu’il te confondait avec ta sœur. Cela t’amuse de le voir souffler le chaud et le froid, de la voir se torturer avec cette histoire mais surtout cela t’amuses de penser qu’il est à ta merci alors que visiblement tu es à la sienne. Comme tu es naïve de te croire au dessus des règles que tu as toi-même instauré. « T’es venu seul ? » Tu prends une voix faussement innocente, l’air de poser une question anodine alors qu’en fait il n’en est rien, tu veux juste savoir s’il a ramené une de ses pouffes à cette fête ou pas. De toute manière cela serait revenu au même tu te serais arrangée pour prendre sa place. Tu l’accules contre le mur et son sourire gagne en intensité. A présent proche de lui, sentant ton corps contre le sien tu te délecte de cette sensation, son parfum t’enivre tandis que tu le humes, tes lèvres frôlant son cou sans pour autant toucher sa peau. Son odeur t’avait manqué, son contact t’avait manqué, toute sa personne en fait t’avait manqué. Tu as beau dire et croire tout ce que tu veux il t’attire comme un aimant et il est évident que tu ne peux pas lui refuser grand-chose même si tu feins l’indifférence. Tu feins tout un tas de choses mais surtout pas les sentiments, tu ne donnes pas là dedans, lui non plus, tant mieux il n’y a pas de mensonges, pas de vaines promesses, juste la délectation de ce jeu incessant. Dangereux peut être bien mais tu ne t’en rends absolument pas compte puisque tu ne fais attention à rien. « Mieux vaut être seul que mal accompagné, pas vrai ? C'est un dicton que j'aime bien. T'as pas l'air plus accompagné que moi en passant. » Te glisse-t-il sur un ton à la fois curieux et moqueur. Tu souris de plus belle, de le savoir libre, libre pour toi, parce que tu sais parfaitement que cette petite mascarade n’est pas innocente, tu es venue pour la fête, tu resteras pour lui. « Oh tu sais bien…Ma compagnie, je la trouve au détour d’un couloir » Tu fais allusion à lui et au gars là-bas près de l’entrée, à cette fille qui rit sur le canapé, cet autre type qui dansait avec toi tout à l’heure. Parce qu’au fond tu ne fais pas attention, tes nuits se ressemblent et tu t’en moques, c’est ainsi que tu te libères et t’échappes de cette existence de merde dans laquelle tu te sens étouffer. Sauf peut être avec lui, avec lui tu ne veux jamais céder et pourtant tu te retrouves à baisser ta garde malgré toi, c’est pas prémédité ce type te fais juste sortir de tes gonds et franchement ? Tu adores ça. D’un pas lent tu avances plus près de lui, profitant de cet espace réduit entre vos deux corps tu glisses tes mains sur le cuir de sa veste « Tu devrais l’enlever il fait une chaleur étouffante ici… »   « C'est encore supportable pour l'instant mais c'est gentil de t'en faire pour moi, Alexis. »  Il rentre dans ton petit manège parce que c’est excitant de se chercher sans jamais se trouver. Seulement tu n’aimes pas lâcher prise, alors tu fais comme d’ordinaire, tu fou tout en l’air, une fois encore tu as une parole de trop. « Au fait… » Ajoutes-tu jetant un coup d’œil distrait autour de vous, la jeunesse débauchée ayant complètement prit possession des lieux « Comment va ton frère ? Ca fait longtemps que je ne l’ai pas vu… » Oh tu sais parfaitement ce que tu fais là, cette question va l’énerver, tu es bien consciente qu’Ahilan n’approuve pas du tout la mascarade à laquelle tu te prête avec Ioan, du moins celle à laquelle il croit que tu te prête car en réalité tu connais bien peu le jeune homme si ce n’est à travers les dires de ta jumelle. Néanmoins qu’il s’en importune tu t’en moques bien toi qui est constamment dans la provocation. Tu en profites et t’en délecte. Tu lui parles de Ioan avec l’intention évidente de l’énerver, tu recherches cet agacement, tu veux le pousser à bout, le tester parce que c’est ce que tout fait constamment. « Je t'ai déjà dis de rester loin de mon frère. Ça t'éclate tant que ça de faire chier ton monde ? Pas étonnant que tu sois constamment toute seule. » Il te repousse sans ménagement et te plante là, mais à ces derniers mots ton sourire s’efface te rappelant un peu plus violemment la précarité de ta situation. Il a visé juste, des amis t’en as des tas mais pas un seul sur qui compter, ton monde est factice tu le sais bien. Tu préfères ignorer  tu ne veux pas lui montrer qu’il t’a touché « Mieux vaut être seule que mal accompagnée, pas vrai ?! » Tu reprends sa remarque mot pour mot en lui lançant un dernier regard mais tu l’entends ajouter « C’est bien pour ça que jme barre ! » Il t’assène ce dernier coup d’un ton glacial et tu le suis dans sa démarche, tu tournes les talons, t’écartes, le fuis, pars aussi loin que possible. Tu traverses le salon et la mer de gens qui l’occupe, tu t’y caches et t’y noies.

La tête ailleurs tu te laisses entraîner par la musique, la mélodie te portant à travers la foule, tes paupières se ferment doucement et tu repenses à ce qu’il t’a dis Ça t’éclate tant que ça de faire chier ton monde bien sûr, cela t’amuses mais pas seulement…Car la vérité que tu dissimule aux autres comme à toi-même c’est que c’est une manière comme une autre d’attirer cette attention que tu réclames et dont tu as tant besoin. Tu as besoin de bruit, d'action, de fête, de compagnie, il ne te faut aucune pause. Il faut qu'il y ait toujours du mouvement dans ta vie, pour te faire oublier la réalité des choses, pour que tu gardes toujours un peu fermés, tes yeux trop fatigués d'avoir dansé. Pour que ton esprit ne se questionne pas sur le pourquoi de ton existence. Comme tellement d’autres cons. On sort, on boit, on fume, on baise, mais surtout on n'aime pas, on n'aime plus, souffre et on croit que c'est à cause des autres. Ils se croient entourés mais la vie n'est que solitude, ils sont côte à côte mais pourtant si loin les uns des autres. Tu regardes ceux que tu aimes dans les yeux, et tu vois, tu n’es entourée que d'énigmes, que de mystères, tout autour de toi se trouvent des portes sans serrure, des êtres qui ne t’appartiendront jamais…Comme lui. Personne ne connaît personne, personne ne comprend personne, c'est simple. Tu ne sais pas à quoi rime la vie au fond. Tout ce que tu veux c'est ne jamais avoir à être seule, face au silence, face au miroir qui renvoie à ta rétine l'image de la prison dans laquelle tu es enfermée à vie. Tu fuis la solitude et restes effrayée à l'idée de te retrouver seule avec toi-même.