Nous étions samedi et j'avais rendez-vous avec mon ami de toujours, Boris. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours connu Boris. Il a toujours été là pour moi quand j'avais besoin de lui, j'essaye de lui rendre la pareille comme je le peux. J'avoue aisément que ce n'est pas tous les jours faciles. Mais on fait ce qu'on peut non ?
Si nous avions pris rendez-vous, c'était parce qu'il avait quelque chose à m'annoncer. Au téléphone, il n'avait pas semblé fatigué ou triste, c'est ce qui me fait dire que sa nouvelle n'est pas du genre affligeante. Je ne pourrai pas supporter l'idée qu'il ait un cancer par exemple. J'essaye tant bien que mal d'effacer cette idée de mon esprit tout en me dirigeant sur notre lieu de rendez-vous : le bar de Joe. Lorsque j'en franchi les portes, je recherche mon ami des yeux, mais il n'est pas encore arrivé. Je décide alors de m'installer à une table pour l'attendre. En jetant un coup d’œil rapide sur la scène, mon coeur et mon esprit s'emballent à la pensée de mon premier concert sur cette estrade. Il s'agissait là d'une de mes toutes premières performances. Mon trac était palpable et c'est à peine si je pouvais tenir mon micro. Il m'a fallu le tenir à deux mains tellement je tremblais. Boris n'était pas là ce soir-là, heureusement d'ailleurs, sinon j'en entendrais encore parler à l'heure qu'il est. Je me serais tapé la honte de ma vie. Ma première chanson a été une catastrophe puisque ma voix tremblait tellement que j'arrivais à chanter faux. J'ai pris confiance en moi depuis et heureusement ! Sinon, comment arriverais-je à payer quoi que ce soit ?

Je n'ai pas tout de suite vu mon ami entrer dans le bar. Je venais de faire tomber ma serviette lorsque celui-ci m'a rejointe. Je devais être rouge du fait que le sang affluait vers ma tête, je m'attendais donc à ce qu'il me fasse une des réflexions dont lui seul avait le secret. Mais avant que ça n'arrive, j'ai souri et déposé ma serviette à sa place initiale avant de prendre la parole la première : "Hey ! Alors, c'est maintenant qu'on arrive ? Je suis là depuis deux bonnes heures moi !" Bien-sûr, je plaisantais. Jamais je ne serais venue deux heures à l'avance, à moins d'avoir une bonne raison et ce n'était pas le cas pour cette fois. "Alors, quelle est cette grande nouvelle ? J'avoue avoir eu le temps d'y réfléchir et j'ai ma petite idée là-dessus ! Tu vas te teindre les cheveux en bleu d'un côté et en jaune fluo de l'autre !" Entrais-je dans le vif du sujet en plaisantant toujours.

Boris enfin là, je lui souris, contente de le voir enfin. J'avais hâte d'entendre sa grande nouvelle, car il semblait excité à l'idée de me l'apprendre. J'ai pu imaginer des tas de choses en son absence, à commencer par un changement de vie ou quelque chose comme un voyage. Je n'ai pas pensé au cancer car il semblait heureux au téléphone. Et je ne me voyais pas pouvoir le réconforter face à une nouvelle aussi tragique. Il était l'un de mes plus vieux amis et je tenais énormément à lui. Si jamais il s'agissait de la maladie, je ferais de mon mieux pour l'accompagner jusqu'au bout, même si je n'étais pas capable de le supporter. Mais je ne m'en faisais pas pour ça, j'attendais de voir ce qu'il allait m'annoncer. Lorsqu'il me lança une boutade en réponse à la mienne, j'en ris et attendit qu'il commande pour en faire autant. Pour ma part, ce fut un café. Je voulais être sobre pour ce qui allait arriver. Puis il se mit à plaisanter sur ce que je venais de lui dire, ce à quoi je n'ai eu d'autre choix que de répliquer :
"Oh crotte alors, t'aurais pu me le dire par téléphone j'aurais économisé des sous sacre bleu !" Cela m'amusait d'utiliser des expressions hors de notre époque. Surtout en compagnie de mon ami si cher. Puis il prit un air sérieux, je savais que la nouvelle allait tomber. Le mot "papa" fut prononcé et mon coeur s'arrêta de battre une fraction de seconde. Toutes les personnes à qui il a annoncé la nouvelle ont dû le féliciter, être heureuses pour lui. Mais ma première réaction ne fut certainement pas celle qu'il attendait. J'ai fait de mon mieux pour ne pas lui montrer qu'une telle nouvelle me faisait mal au coeur. Pas pour lui, mais pour moi. Cela me ramenait quelques années en arrière, là où moi aussi j'aurais pu connaître le bonheur d'être maman. Mais j'en ai décidé autrement et c'est en partie pour cela que ma vie est un désastre aujourd'hui. J'ai fait de mon mieux pour me reprendre et répondre sur le ton de la plaisanterie : "Et tu m'annonces ça comme ça ?! Sans que j'ai de mouchoir à portée de main ! Tu devrais avoir honte ! Moi qui voulais faire ma vie avec toi, je m'imaginais déjà mariée avec quatre enfants, deux filles et des faux jumeaux. Tu aurais été un père merveilleux pour Chloé, Juliette, Maxence et Iris." J'ai mimé une larme que j'ai essuyé du bout des doigts. Puis je me suis mise à sourire pour ajouter : "Tu vas être un merveilleux père de toute façon. Félicitations, c'est une super nouvelle !" J'étais sérieuse et je faisais de mon mieux pour ne pas pleurer. J'étais si heureuse pour lui et à la fois si triste pour moi que mes émotions se mélangeaient en un vrai sac de nœuds. "Tu as intérêt à l'appeler Davina ! Tu imagines ? Elle portera le nom d'une star avant d'avoir commencer à vivre !" Je plaisantais, une fois de plus. Je l'ai serré dans mes bras, pour lui montrer que cette nouvelle me touchait au plus profond de mon être.

Je ne pouvais que me réjouir pour mon ami. Mais quelque chose au fond de moi m'empêchait de le faire pleinement. J'étais heureuse pour lui mais l'imaginer avec un enfant me renvoyait ma lâcheté en pleine figure. Il est capable de faire ce que je n'ai pas osé faire il y a des années. Je ne pouvais que l'en féliciter même si mon cœur était meurtri à l'idée que nous aurions pu partager de merveilleuses anecdotes en parlant de nos enfants respectifs. Mon avortement me détruisait à petit feu, chaque jour un peu plus. C'était à la fois idiot et compréhensible. J'essayais de ne pas tout ramener à moi. Heureusement pour Boris, j'ai toujours su mentir. Bien que je n'ai pas eu beaucoup à me forcer pour lui dire que j'étais contente pour lui, et n'oublions pas sa petite amie. J'ai même plaisanté à ce sujet. Petite, au tout du moins étant enfant, je me suis toujours imaginée au bras du beau brun. Fondant une famille, vivants heureux et comblés jusqu'à la fin des temps. Et oui, j'étais rêveuse et fleur bleue à l'époque. Heureusement pour lui, mister Nemanjic n'a pas donné suite à mes sentiments. Je dis heureusement car il n'en serait pas là aujourd'hui s'il l'avait fait. Et je n'aurais pas non plus rencontré Kyllian et pu tomber follement amoureuse de lui. Bref, c'est le passé. Il fallait que j'avance, chose que je ne pouvais pas faire ou que je m'empêchait de faire comme me le répétait assez souvent ma sœur... Le sourire aux lèvres, j'ai alors répliqué à mon ami : « Je ne crois pas aux autres vies figure-toi. Mais tant pis pour moi, je n'avais qu'à faire ce qu'il fallait en temps voulu. » Je plaisantais et il le savait. Il plaisanta également en parlant du prénom de son futur enfant. Il ne souhaitait pas l'appeler Davina, ce que je trouvais regrettable. Ou ce que je faisais passer en tant que tel. « Réfléchis-vite alors. Parce que mieux vaut que ma petite chérie soit la première à porter mon prénom. N'oublie pas que je suis en passe de devenir pire que célèbre. » Je ne m'imaginais pas super star, loin de là d'ailleurs. Mais je ne cracherais pas sur des concerts d'une plus grosse envergure. Et le jour où ça arrivera, peut-être que le phénomène de mode qui se lancera sera d'appeler ses enfants comme la star du moment, en l’occurrence moi. Mais pour l'instant, je en faisais que rêver de tout cela.
Boris reprit les plaisanteries en m'annonçant qu'il me considérait déjà comme sa nounou attitrée. Je ne m'imaginais pas en tant que telle. Je n'ai jamais été très à l'aide avec les enfants. Mais je ferai une exception pour l'enfant de mon ami si cher. Pour rentrer dans son jeu, j'ai pris un air indigné tout en souriant en coin. « Six heure du mat' fais-moi rire ! T'es prof et elle assistante, vous ne commencez jamais avant au moins dix heure ! Et puis je veux bien être ta nounou attitrée, si je deviens la marraine de ma petite chérie. » Je lui tire la langue, espérant qu'il réagisse à ma demande. « J'imagine que ça a dû être un choc... Mais le principal, c'est que vous soyez d'accord pour le garder... » J'en revenais toujours à mon histoire. Les yeux dans le vague, je me suis perdue à m'imaginer avec un bout de chou dans les bras. Le promenant, le berçant, lui donnant à manger, m'occupant de lui comme je me devais de le faire en tant que maman. J'ai eu du mal à me reprendre et faire comme si de rien n'était.