Tenaillé par la faim, London se tenait en travers de son tabouret, tenté par les toasts au thon et les tartines de topinambour, transcendé par le tempo des trompettes et tambours et totalement tiraillé entre son désir de se trémousser en compagnie des tigresses de sa table et son terrible besoin de tout envoyer promener. Le turbulent gamin avait succombé au traditionnel repas de Thanksgiving sous cette immense tente, et allait tenter un tantinet soit peu de ne pas tétaniser les filles avec son tempérament typique, à savoir têtu et tumultueux, tantôt même tyrannique. En théorie, il se serait taillé à peine arrivé mais le tribunal avait tranché, trop de monde pourraient en témoigner, il était dans l’obligation de tolérer les tirades du maire et les tintamarres. Ah il allait avoir envie de distribuer des tonnes de torgnoles dans leurs tronches à tous mais il faudrait toutefois se tempérer. Téméraire, oui, mais pas suicidaire. Soudain, tous les troufions de Pearl Trees se mirent à trépigner, agglutinés tel un troupeau, le maire n’allait plus tarder à convoquer les prochains participants. La tête qu’il tira en entendant son prénom traduisit son enthousiasme. Des bombes à eau ? Tant mieux, au moins il pourrait toujours apercevoir des tétons à travers les T-shirts trempés transparents des autres candidates. Faisant parler sa testostérone, il se mit torse nu, offrant la tentation aux filles de venir tâter ses tablettes de chocolat. Sa technique allait faire un tabac, il tergiversait à une tactique, visualisant les trajectoires possibles afin de tutoyer le triomphe.

Il comptait bien trimer dur, troquer sa nonchalance contre un tourbillon de ténacité, se transfigurer et toucher la tête de course du bout des doigts. Il était tranquille, il allait terrasser ses adversaires, transformant leur tentative en tragédie. Au moment de son tour, tout le monde se tut, il tournoya sur lui-même, fit travailler son triceps  puis tâcha de tirer aussi fort que possible. La bombe explosa dans un tonnerre d’applaudissement, London se tournant vers les filles en les taquinant. Cependant, elles étaient tenaces et le talonnaient de près, la tension se faisait sentir, les plus timides devenant taciturnes. Il était grand temps que tous en soient témoins, quand London vise le titre, ses adversaires trépassent, ils boivent même la tasse. Toutefois, la température avait dégringolé et atteignait presque le seuil du tolérable, tous tremblaient, cette épreuve allaient laisser des traces inévitablement. Demain, il tousserait, il vivrait une vraie torture… Dire qu’il n’avait pas rédigé de testament. Il serait perdu dans les tourments de la toux et personne pour le traiter et écouter ses tracas. Injustice quand tu nous tiens. En attendant, il pensait bien être en tête et laisser sa trace au tableau d’affichage. Il avait eu l’avantage du terrain, c’est vrai, après tout, ces terres de tulipes, de tournesols, de tiges et de trèfles, ils les traversaient tous les jours, alors quel meilleur territoire que celui-ci pour enfin s’asseoir sur le trône ? Telle est la question.

Décidément, London allait devoir se donner à fond s’il ne voulait pas finir dauphin. Il aurait préféré déambuler en déblatérant quelques remarques déplorables aux décérébrés qui se donnaient en spectacle. Au lieu de ça et en dépit de ses protestations, il ne pouvait se dépêtrer de cette situation. Dégouté, il avait déchanté complètement lorsqu’on leur avait dicté la consigne, mais compte tenu de la concurrence, il était clair qu’il allait tout déchirer, on lui déroulerait le tapis rouge, personne ne pourrait lui disputer le diadème. Dévêtu, il comptait bien draguer quelques diablesses ce soir (voire même dépuceler quelques dindes ). Le dernier lancer se dessinait et le dangereux garçon était déterminé à dynamiter la course. Il allait tous les décoiffer, quitte à défrayer la chronique, il dépasserait quiconque avait daigné essayer de le doubler. Si un peu de douceur aurait pu le décontracter, les températures plus dures l’avait déconcentré quelques peu. Désormais, il faisait danser ses muscles afin de se dégourdir, devant les regards plein de désir des demoiselles. « Déboutonne mon pantalon, débraguette-le et je te ferai décoller et décrocher la Lune ma dulcinée… » se disait-il en déshabillant une jeune fille des yeux. Destiné à impressionner les sceptiques qui doutaient de lui ce soir, il déploya son bras derrière la tête (heureusement qu’il avait dépensé ses douze dollars restants dans des produits de douche et donc dans un déodorant), puis déclencha un lancer digne des dieux du disque tel Dallas Long, avec la force de David Douillet et toute la technicité de Didier Deschamps, le tout sans se doper, autant dire qu’il était doué. Sans aucun doute, il leur mettait une déculottée, qu’ils dégagent tous de son passage, il allait défiler tel un diacre et débuter sa dictature. Au programme, finie la démocratie, dévotion deviendrait le maître mot. Tous déposerait les armes devant sa grandeur, et la mort par décapitation attendrait quiconque le mettrait au défi ou tenterait de le défaire.  

Doucement, la foule se dispersait, regagnant le buffet dinatoire et dégustant les divers délices proposés en desserts. London enfila un deuxième t-shirt, sec quant à lui, et se dirigea vers sa tablée. Tous le dévisageaient, se demandant sans discrétion si un tel démon était en droit de remporter l’épreuve et donc de déposer son nom dans la liste des vainqueurs de la discipline. Il avait voulu démontrer qu’il était plus qu’un demeuré, et le moment était venu de clore le débat. Cette fête lui donnait l’occasion de dévoiler un nouveau visage et une attitude différente, une opportunité de se démarquer par sa détermination plutôt que par ses débâcles.  Plus détendu, il s’était débarrassé de sa tâche et allait pouvoir se détendre avec les petites dévergondées qui le déstabilisaient déjà. L’annonce des résultats allaient tombée, et lorsque le maire s’avança devant la foule debout, les discussions se dissipèrent afin d’applaudir dignement le gagnant. « Tous des débiles, quelle hypocrisie, même si je gagne, je ne suis pas dupe, bande de dégonflés. »