Une après-midi comme je les aimais, le soleil était à son apogée, un petit vent frais nous rappelait l’arrivée imminente de l’hiver, les ingrédients types de ce sentiment unique de liberté qui me poussait à avancer. J’aimais tellement profiter de cet univers pour m’évader, sortir de la ville et me retrouver au cœur de la nature, réfléchir et gamberger. Dès que j’en avais le temps et l’occasion, j’en profitais pour emprunter le sentier de la forêt qui menait à la rivière et j’allais y faire un somme, bercé par la bruit de l’eau, je m’endormais paisiblement quelques minutes et en tirait un bien fou, comme si l’environnement m’offrait cet apaisement dont j’avais besoin. Le Graal n’était plus qu’à quelques centaines de mètres, j’avais encore à traverser le pont et j’arriverais au sentier puis à mon petit coin de paradis. Ce fut à ce moment-là que je la vis enjamber lu muret et se présenter seule face au vide. Terrorisé par la vision d’horreur que s’apprêtait à m’offrir la jeune femme, je me mis à courir comme un dératé jusqu’au pont et le souffle court, je tentai désespérément de lui faire entendre raison « Attendez, attendez… » Je comblai péniblement les quelques mètres qui me séparaient de la rambarde qui se dressait toujours entre nous. « Ne faites pas conneries !!! Revenez là ! » Lui criai-je. Bien sûr, j’étais conscient qu’elle ne m’écoutait pas vraiment, et que ce n’était pas en la brusquant que j’allais faire changer les choses, mais la panique s’était emparée de moi et je me sentais complètement impuissant face à sa détresse. Les mains collées à mon visage, je me surprenais à prier, s’il y avait un bon Dieu, qu’il m’entende. « Oh mon Dieu c’est pas vrai, non non non… C’est pas possible, pas ça... ».

Toute ma vie, j’avais parlé du suicide comme d’une connerie ridicule, comme d’un acte ultime d’égoïsme, mais en cet instant, plus rien ne comptait, je ne pouvais pas laisser cette fille renoncer. Sans même réaliser ce que je faisais, j’enjambais la barrière à mon tour sous les cris des quelques habitants qui avaient eu le malheur de passer par là au mauvais moment. Je m’accrochais de toute mes forces en arrière et comblait tout doucement le mètre qui me séparait de la jeune femme. Une fois à sa hauteur, évitant de regarder en bas, je balbutiai quelques mots « Salut ! Je m’appelle London, London Merritt. Et toi ? ». Je me sentais tellement con mais j’espérais que ma présence allait lui faire comprendre que quel que soit l’épreuve qu’elle était en train de traverser, elle trouverait toujours une épaule sur laquelle pleurer, ou un inconnu prêt à l’écouter sur un pont. Tout en lui parlant, je posai ma main sur la sienne. « Alors maintenant qu’on est tous les deux suspendus au-dessus de cette rivière, dis-moi pourquoi on est là. S’il te plait. » Je la regardais fixement, espérant qu’elle lirait dans mon regard la sincérité, ma bonne volonté, mon inquiétude, et surtout la compréhension. J’étais moi aussi passé par beaucoup de phases de dépression, j’étais même dans celle de l’autodestruction, mais pas au point de mettre fin à mes jours, non, je n’avais jamais même considéré une telle option, j’étais partisan du « la roue tourne » et convaincu que ceux qui se battaient finissaient toujours par gagner car le travail paie. Je pouvais voir la détresse dans ses yeux, et j’avais peur qu’elle se jette à tout instant, me laissant spectateur de ce cauchemar.