La journée de la veille avait été épuisante au boulot, encore une fois, Sélénia avait dû rester plus tard que prévu parce que Jeremiah avait été retenu, et lorsqu’il était finalement rentré aux alentours de vingt-trois heures, il avait trouvé la jeune fille en train de bercer Milo, incapable de dormir. Ca arrivait de plus en plus qu’il doive l’appeler en cours de soirée pour lui demander de faire des heures supplémentaires, ou même certaines après-midi. La petite blonde était habituée mais le jeune papa était gêné à chaque fois. Bien sûr, son métier ne lui offrait aucune assurance par rapport à ses horaires, il était clair que le métier de pompier n’était pas de tout repos, mais il ne pouvait pas continuer à abuser du temps de la petite bien qu’elle soit payée pour toutes ces heures. Après avoir appelé sa baby-sitter la veille au soir, s’excusant de son retard, un collègue lui avait dit que l’école maternelle offrait aussi un service de garderie pour les petits, et qu’il pourrait sûrement y inscrire son fils en journée, ce qui limiterait déjà ses problèmes un minimum.

Aujourd’hui, Jeremiah ne travaillait pas, il allait pouvoir profiter de son petit toute la journée, et essayer de trouver le courage d’entrer en contact avec Cassidy, ce qu’il redoutait au plus haut point. Après un petit tour au parc, l’ancien habitant de Chicago se dirigea vers l’école, il avait attendu la fin des classes pour essayer de trouver quelqu’un qui puisse lui parler des modalités d’inscription, du programme, des horaires, des tarifs, il avait besoin de toutes les informations pour s’arranger avec son boulot mais également voir avec Sélénia à quel moment ele pourrait éventuellement le dépanner. Milo était dans sa poussette, et le brun passa finalement les portes de l’établissement. L’atmosphère y était chaleureuse, des fresques d’enfants aux murs, des peintures et dessins disposés un peu partout, il imaginait déjà son fils galoper dans les couloirs de cette école. Une dame d’une quarantaine d’années s’approcha et lui demanda ce qu’il cherchait, Jeremiah expliqua sa démarche mais très vite, il sentit bien qu’elle n’avait pas envie de s’occuper de son cas et partit chercher « la personne qui s’occupe des inscriptions ». Il en profita pour admirer la décoration en attendant qu’on daigne lui accorder quelques minutes. Finalement, quelqu’un arriva d’une salle de derrière et lui offrit son aide. Le choc fut brutal. Devant lui se tenait Savannah, la femme de sa vie, il en était persuadé. Il avait tout gâché entre eux en commettant la grosse erreur de coucher avec sa meilleure amie, mais à l’heure actuelle, il ne regrettait plus ce geste, parce que de ce drame, était arrivé le plus beau trésor qu’il soit, son fils. Seulement cette nouvelle vie et cette responsabilité n’avait rien à voir avec cette jeune femme en face de lui, il l’avait tant aimé, il l’aimait encore d’ailleurs, mais de la retrouver dans de telles circonstances, il ne s’y attendait pas. Evidemment, en emménageant à Pearl Trees, il savait qu’il pourrait tomber sur elle un jour, mais pas là, pas comme ça, pas avec Milo, il aurait aimé avoir parlé à Cassidy avant, il était complètement paniqué.

« Waw, euh… Je… Je ne savais pas que tu travaillais ici, je… je suis désolé. Oh mon Dieu… » Il posa les yeux sur son fils, dont la poussette faisait face à la jolie blonde. Dans quelle situation il s’était encore fourré ?! Il s’approcha de Savannah pour lui faire la bise, la prendre dans ses bras, elle lui avait tellement manqué. Il avait envie de sentir son odeur, ses cheveux… Elle était partie du jour au lendemain, sans jamais lui redonner de nouvelles, et il avait eu beaucoup de mal à s’en remettre, puis Milo entra dans sa vie et il occupa toute son attention, jusqu’à cet instant, ce hall, ou il la revoyait enfin. Il était content. « Je suis heureux de te voir… » dit-il en comblant les quelques mètres qui les séparait.

Content mais également paniqué à l’idée de prendre le passé en pleine face et de ne pas réussir à sortir la tête de l’eau à nouveau, de replonger dans les méandres de la tristesse qui l’avait gagné lorsque Savannah avait franchi la porte de leur appartement pour ne plus jamais revenir… S’il était entouré des deux personnes qui comptaient le plus à ses yeux, il était aussi projeté face à un mur de questions, de doutes et de regrets qu’il ne se sentait pas prêt encore à escalader. Tandis qu’il s’approchait d’elle afin de célébrer leurs retrouvailles plus ou moins inattendues, la demoiselle lui fit clairement comprendre qu’elle n’était pas prête à ce qu’ils jouent la carte des amis. Déçu, Jeremiah comprit néanmoins l’attitude de la jeune femme. Visiblement, elle ne lui avait pas pardonné son incartade, ce dont il se doutait étant donné qu’elle n’avait jamais non plus donné suite à ses appels, ses emails et ses messages depuis plus d’un an. Pas franchement surpris mais quelque peu déçu, Jeremiah laissa à Savannah un peu d’espace et en profita pour vérifier que Milo n’avait besoin de rien. Il était toujours sans sa poussette à regarder partout, complètement émerveillé par toutes ces couleurs autour de lui. En voyant son fils gazouiller, le jeune homme ne put s’empêcher de sourire, ce qui attira sûrement l’attention de la jolie institutrice qui s’arrêta un moment sur le bébé. Elle avait l’air complètement prise au dépourvu et choquée par la présence de Milo. Il est vrai que Jeremiah ne lui en avait pas parlé, il avait estimé qu’il n’était pas bon de le faire à travers un combiné ou dans un email, et surtout, il pensait que Cassidy lui en aurait parlé. Elles vivaient toutes les deux ici depuis un an, elles avaient dû se recroiser plus d’une fois. Il se demandait à présent si les deux anciennes meilleures amies avaient réussi à aller de l’avant, si elles avaient pu se retrouver comme autrefois, si Savannah avait été capable de pardonner, car si oui, alors il y aurait peut-être un peu d’espoir pour eux aussi.

Evidemment, la nouvelle fit l’effet d’une bombe et Jeremiah sentit tout le ressentiment que pouvait encore éprouver Savannah quant à leur relation, elle était encore en colère contre lui, et ça ne lui déplaisait pas au fond. Si son ex était capable de lui en vouloir, c’est qu’elle n’avait pas encore réussi à l’oublier, bien qu’elle affirme le contraire, son attitude lui prouvait qu’il avait raison. Pour l’instant, bien entendu, elle laissait exploser sa frustration et son dédain, mais au moins, il avait toujours une place dans son cœur comme elle en avait une dans le sien. « Je te présente Milo. » déclara-t’il après qu’elle ait fini de le tripoter. Le petit riait aux éclats tandis que la blonde jouait avec lui, et le jeune papa profitait du spectacle… Si seulement il n’avait pas merdé, c’était ce qu’ils auraient pu vivre tous les trois, cette famille qu’ils auraient pu construire ensemble. Maintenant il était là, célibataire, avec un enfant d’un an que sa mère refusait de connaitre. Cependant, quelque chose contrariait Jeremiah dans les propos de Savannah, elle avait dit qu’ils étaient tous les deux « passé à autre chose ». Est-ce que cela voulait dire qu’elle avait quelqu’un dans sa vie ? « Si par-là tu veux dire m’occuper de mon fils H24, alors j’imagine que oui… Je n’aurais pas imaginé quelle responsabilité c’était que celle d’être père, surtout tout seul… ». Voilà, il lui avait glissé le fait d’être célibataire, sans vraiment savoir pourquoi, il avait ressenti le besoin de lui dire qu’il n’y avait personne d’autre, que jamais depuis qu’elle était partie il n’avait été capable d’aimer une autre femme, ni même d’avoir une aventure ou de laisser quelqu’un entrer dans sa vie. Il leva les yeux vers elle, gené par cette révélation qui allait à l’encontre de ce qu’elle s’imaginait, et sûrement même de la vie de couple qu’elle avait l’air de mener rondement. Il ajouta « Mais je suis content de te savoir heureuse, c’est tout ce que tu mérites Sav’, vraiment. » Il se sentait con, il sentait les larmes lui monter aux yeux, c’était beaucoup d’émotions de se retrouver face à elle et il ne s’y était pas préparé. « Je ne voudrais pas prendre trop de ton temps, j’ai besoin d’inscrire Milo à la garderie et je voulais avoir tous les détails. Est-ce que tu as un fascicule ou quelque chose que je puisse étudier à la maison ? » Car oui, désormais et contre toute attente, Pearl Trees était aussi chez lui.

La tension était palpable dans le hall de l’école, Savannah n’était clairement pas disposée à revoir Jeremiah et elle le recevait avec une froideur extrême. S’il ne s’était pas imaginé qu’elle lui dresserait le tapis rouge, il n’avait pas imaginé autant de rancœur, mais comment lui en vouloir. Il avait couché avec sa meilleure amie dans son dos, menti, et ruiné à lui tout seul ce qui comptait le plus pour lui, sa relation avec la jolie blonde. Leur rupture remontait à un peu plus d’un an mais clairement, les blessures n’étaient pas complètement refermées, d’un côté comme de l’autre. Alors que le brun fraîchement débarqué lui glissait qu’il était célibataire, la demoiselle en profita pour laisser entendre qu’elle avait quelqu’un, mais pire encore, qu’ils envisageaient de fonder une famille. Ce fut une grosse claque pour le jeune papa, parce que c’était ce qu’ils avaient imaginé pour eux, dans un futur proche, et de l’entendre monter ce projet avec un autre homme le rendait fou, triste, mais terriblement jaloux. Il espérait ne jamais croiser ce type, il serra les poings pour se contenir et effacer cette vision atroce qui se dessinait dans son esprit, celle de la femme qu’il aime dans les bras d’un autre avec un bébé. Bien sûr, elle devait s’imaginer la même chose de lui mais pourtant, l’histoire était toute autre, il aimerait tellement pouvoir lui raconter tout ce qui s’était passé, comment il en était arrivé là et la raison de sa présence à Pearl Trees mais elle n’avait pas l’air intéressée de lui laisser une chance. Au contraire, elle mettait en doute sa parole, faisant paraître le jeune homme comme un connard sans nom incapable de sentiments et d’honnêteté. « Comment tu peux dire ça Sav’ ? Bien sûr que je veux que tu sois comblée, et j’aurais même aimé que ce soit moi qui te rende heureuse, et j’ai échoué, oui, tu peux me le dire et me le reprocher, je le mérite. Mais est-ce que cet incident, issu d’une soirée arrosée associée à une jalousie maladive, doit définir tout ce que je suis ? Est-ce que ça doit effacer tout ce que tu trouvais de bon en moi ? Je ne suis pas qu’un salopard qui a trompé sa copine, je le sais et tu le sais aussi. » Il n’avait pas envie qu’on lui colle une étiquette, sûrement pas maintenant qu’il avait Milo, il espérait surtout rester loin des histoires et des embrouilles, même s’il se doutait que son arrivée n’allait pas être des plus simples à digérer pour les deux femmes qui partageaient sa vie à Chicago.

Savannah s’était maintenant concentrée sur les différentes options qui s’offraient à Jeremiah pour la garde de son fils, plusieurs possibilités qui lui permettraient de mieux gérer son emploi du temps. Il était évident qu’il allait opter pour la dernière suggestion étant donné qu’il n’avait pas d’horaires fixes, et lorsque la blonde lui confirma qu’elle trouverait une place pour le petit, le pompier n’en fut que soulager. Il avait vraiment besoin d’une meilleure organisation et l’école allait lui offrir une certaine garantie. Par contre, l’idée de devoir affronter Savannah chaque jour lorsqu’il emmènerait ou viendrait chercher le petit ne l’enthousiasmait pas autant, il devait bien l’avouer. Il allait bientôt devoir lui dire la vérité, il le fallait, elle méritait de savoir qui était Milo et ce qui avait amené le garçon ici, à Pearl Trees, dans sa ville natale. Si dans un premier temps elle avait pu penser qu’il était venu pour la reconquérir, elle découvrirait bientôt que c’est une fois de plus son amie Cassidy qui est milieu de tout ce bazar. « Très bien, je te remercie. Je vais étudier tout ça et je repasserai. A moins que… Tu acceptes de prendre un café avec moi ? Qu’on discute… s’il te plait. » Il se doutait bien que la demoiselle refuserait mais une part de lui espérait que sa nature curieuse prendrait le dessus et qu’elle aimerait en savoir plus sur ce qu’elle a manqué depuis un an. Après tout, il était célibataire, elle n’avait pas à avoir peur d’être trop blessée par une avalanche de sentiments, et peut-être que ça l’aiderait à tourner la page, ou en tout cas à avancer et enterrer les démons de leur relation pour de bons. A moins que cet entrevue fasse renaître des étincelles entre deux jeunes gens toujours amoureux. En tous les cas, Jeremiah estimait qu’ils se devaient au moins de parler de tout ça, et il avait envie d’avoir des réponses.

Alors qu’il s’attendait à une réponse tout aussi tranchante que les précédentes, Savannah accepta la proposition de Jeremiah et lui demande de la rejoindre à la fin de sa classe devant l’école. Elle dit au revoir à Milo avec tendresse et retourna en classe sans se retourner. Content que la jeune femme ait finalement dit oui pour ce petit café ensemble mais le poids de cette année sur les épaules, il rentra chez lui, se demandant ce qu’il allait pouvoir lui dire et comment lui expliquer tout ça. Surtout, il fallait qu’il appelle Sélénia pour faire garder Milo, il ne comptait pas emmener le petit au cas où le rendez-vous tournait mal et se termine en règlement de compte, il était hors de question que le bébé assiste à une envolée de mots malvenus. « Bonjour Sélénia, c’est Jeremiah, je voulais savoir si tu étais libre cette après-midi, je suis désolé de t’appeler au dernier moment mais j’ai un imprévu et je ne pourrai pas prendre Milo avec moi. Je peux te le déposer ? » La jeune fille avait accepté immédiatement, le jeune papa était coutumier du genre, ils avaient réussi à trouver leurs petites habitudes malgré tout.  Aux alentours de 16h, Jeremiah chargea toutes les affaires de Milo dans le coffre, les couches, le biberon, des habits de rechange, et tout un tas de trucs dont la jeune fille ne se servirait pas mais qui rassurait le père. « On ne sait jamais. » lui disait-il à chaque fois qu’il sortait tout l’attirail sur son pallier. Il lui affirma que ça ne devrait pas être long et qu’elle ne devait pas hésiter à l’appeler pour quoique ce soit, qu’il aurait son téléphone à portée de main à chaque instant. Le discours d’un père trop protecteur qu’elle connaissait par cœur, mais pourtant, elle le rassura et lui fit signe de s’en aller. Jeremiah embrassa son fils, lui caressa la joue et retourna à sa voiture.

Il allait maintenant prendre la direction de l’école et il sentait son estomac se contracter, il n’était pas sûr de ce qui l’attendait, de la tournure qu’allait prendre les évènements, de ce qu’il allait pouvoir lui dire de sa vie ou de ce qu’il allait devoir garder secret pour le moment, il aurait tellement aimé qu’elle soit déjà au courant pour son fils, pour leur fils, mais il était évident que Cassidy ne lui avait rien dit de tout ça, et il était maintenant dans la merde. Il allait devoir être celui qui lui brisait le cœur à nouveau en lui admettant que Milo est le fruit de cette soirée qui a ruiné leur relation, ou alors être le connard qui lui ment encore une fois. Cette perspective le rendait malade, il aurait tellement voulu que les choses soient plus simples, mais sa vie était un vraie bordel de toute façon, et de toute évidence, la suite de cette journée allait prendre le même chemin. Il se gara pas très loin et se dirigea vers le point de ralliement quand il aperçut un officier de police s’avancer dans le hall d’entrée. La curiosité le piquant à vif, il suivit du regard cet homme et quelle ne fut pas sa surprise quand il le vit s’arrêter au niveau de son ex et lui déposer un baiser sur le front avant de regagner son véhicule et de mettre les voiles. Jeremiah n’avait pas vraiment vu son visage mais déjà, il savait que la demoiselle ne lui avait pas menti et qu’elle avait bel et bien quelqu’un dans sa vie, qui plus est, quelqu’un qui exerçait une profession digne et qui… oh mon Dieu, qu’il serait sûrement amené à croiser. Après tout, il était flic et lui pompier, ce sont deux domaines qui se touchent plus ou moins, et s’il devait travailler avec lui ? Oh non l’horreur. Il posa alors son regard sur Savannah, il était choqué, surpris et agacé d’avoir vu ce mec s’approcher de celle qu’il aime encore. Il s’était pavané dans son uniforme devant les enfants, ce type devait vraiment être imbu de sa personne. Il ne l’avait qu’entraperçu mais déjà, ce type lui sortait par les yeux. « Quel abruti ! » souffla-t’il. Il le regarda avec dédain s’éloigner et attendit que la jolie blonde le rejoigne. L’angoisse reprenait place et son estomac se nouait encore plus chaque seconde. Arrivée à sa hauteur, elle chercha Milo du regard, mais le jeune homme était venu seul cette fois. « Non, je l’ai laissé à quelqu’un. », répondit-il sans vraiment en dire trop. A peine avaient-ils fait quelques pas que Jeremiah ne put s’empêcher de mentionner la scène à laquelle il venait d’assister. « Alors c’est lui hein ? Celui avec qui tu prévois de faire des enfants ? » Son ton était froid et quelque peu agressif, il ne pouvait cacher sa jalousie, il la sentait l’envahir un peu plus à chaque mot qu’il prononçait. L’idée qu’elle imagine fonder une famille avec ce type le rendait malade. Au fond, sûrement que la simple idée de la savoir avec quelqu’un d’autre lui donnait la nausée. A présent, il était clair qu’il n’avait pas tourné la page, loin de là. Quelque peu anesthésié par la fraîcheur qui tombait sur Pearl Trees, il changea de sujet « Bon, on va le boire ce café ? » tout en se frottant les mains et en soufflant sur ses doigts gelés. L’hiver approchait et les températures chutaient à une vitesse vertigineuse. Une boisson chaude détendrait sûrement ses muscles, et l’atmosphère, il l’espérait.

Tandis que les deux anciens amants prenaient la direction du café que Savannah connaissait, Jeremiah repensait à ce que cette dernière venait de lui balancer. En dehors du fait qu’elle l’ait indirectement traité d’homme infidèle, elle avait aussi déclaré que son mec actuel avait dix ans de plus qu’elle… un gouffre. Evidemment que cet abruti voulait des enfants, il avait l’âge d’être un grand-père presque. Et depuis quand la blonde vivait de cette façon, préférant la sécurité à l’aventure et à la folie de la vie. Elle avait vraiment changé, ou peut-être que c’était lui qui l’avait changée au final à cause de leur passé, mais il avait devant lui une personne différente de celle qu’il connaissait, au moins au niveau de sa relation amoureuse. Après quelques minutes dans un silence de mort, ils arrivèrent enfin devant un joli petit salon de thé dont Savannah avait l’air d’être une cliente régulière, ou au moins l’avoir été aux dires du propriétaire. Visiblement, elle avait passé pas mal de temps avec Cassidy dans cet endroit à l’époque. La suivant jusqu’au bar, il l’entendit commander pour eux deux, le ramenant quelques années en arrière, à l’époque où il ne formait encore qu’un. Elle avait pris la liberté de commander pour lui son café allongé, sans même lui demander confirmation, elle l’avait fait naturellement, comme si entre eux tout n’était qu’évidence. Il fallait bien avouer qu’ils connaissaient tous les deux par cœur les petites habitudes de l’autre, après sept ans de vie commune, certaines choses sont simplement inoubliables. Elle avait commandé un thé au citron pour elle, et là-dessus, elle avait aussi toujours les mêmes goûts. Jeremiah esquissa un sourire, content de voir qu’elle n’avait pas oublié ce qui faisait partie de leurs petites coutumes. Ils allèrent finalement s’asseoir dans un coin à l’écart afin d’être un peu tranquille, quand une dame s’approcha d’eux, et se lança dans un monologue sur le compagnon de Savannah… Alors cet enfoiré s’appelait Dean hein… Et clairement, il ne plaisait pas plus que ça à cette femme qui lui devenait tout à coup bien plus charmante. Paraissant ravie de cette rupture qu’elle s’était inventée entre les deux tourtereaux, elle complimenta Jeremiah avant que Savannah la coupe en lui affirmant qu’il n’en était rien. Finalement, ils se retrouvèrent tous les deux, et la demoiselle n’hésita pas un instant, elle mit les deux pieds dans le plat pour entamer la discussion sur les chapeaux de roue.

Jeremiah redoutait cette question, celle à laquelle il devrait choisir entre le mensonge et la trahison, celle qui lui ferait perdre une nouvelle fois tout espoir de réconciliation avec celle qui hantait encore ses pensées. Devait-il lui avouer la vérité maintenant, sans même avoir vu Cassidy ? « C’est compliqué Sav’, je suis pas sûre de pouvoir vraiment t’en parler tout de suite… Je te promets que tu sauras tout ça très bientôt, mais… Tu comprends, depuis l’arrivée de Milo, ma vie est un vrai foutoir, et si je veux remettre les choses en place pour lui, pour qu’il grandisse sereinement, je dois faire les choses dans le bon ordre. Crois-moi, ce n’est pas personnel, au contraire, j’aimerais pouvoir tout te dire là tout de suite… Vraiment. » Il baissa la tête, conscient qu’il venait de perdre le peu de points qu’il pouvait encore lui rester dans le cœur de la jeune femme, mais il devait penser à son fils avant tout. Le dire à Savannah avant que la propre mère de l’enfant ne sache qu’il était là aurait été une erreur, et il n’avait pas envie de tout faire foirer, il avait fait trop de sacrifices pour en arriver là, il ne pouvait pas tout ruiner parce que son cœur lui disait qu’il risquait de la perdre une nouvelle fois. « Mais je suis là pour de bon en tout cas, du moins je l’espère. » Il sentait le regard suspicieux de la blonde sur lui, et ça le tuait de savoir qu’il n’était pas à la hauteur de ses attentes, littéralement, il sentait son cœur s’émietter un peu plus. Il aurait préféré qu’elle lui demande pourquoi il élevait Milo seul, comment il en était venu à se retrouver papa, mais non, elle avait posé la seule et unique question à laquelle il ne pouvait pas répondre. « Je sens que tu m’en veux… Et je ne parle pas de Cancun ou de Chicago, je te parle d’aujourd’hui… Sav’, si seulement je pouvais t’en parler… » Il venait de lui attraper les mains, et il la regardait droit dans les yeux à présent. « Je t’en prie, crois-moi sur ce coup-là, je n’ai pas le choix, je ne veux pas te blesser à nouveau, mais je ne peux pas risquer le bien-être de mon fils… Il est plus important que mon bonheur à moi… Alors je dois prendre ce risque… » S’il avait été égoïste, s’il avait été seul, il aurait dit à son ex ce qu’elle voulait entendre et ce qu’il mourrait d’envie de lui dire, qu’il n’y avait qu’elle, qu’elle comptait plus que tout et qu’il ferait n’importe quoi pour qu’elle lui pardonne, qu’il lui prouverait jour après jour qu’il est celui qu’il lui faut. Au lieu de ça, il avait choisi le silence pour laisser une chance à Cassidy d’entrer dans la vie de son fils sans que ça mette en danger tout son équilibre. Encore une fois, il choisissait la brune plutôt que la blonde et il en était le premier désolé.

L’atmosphère si cosy et chaleureux du salon de thé était étouffée par la colère de Savannah. Elle avait beau ne pas faire de scène, toutes ses émotions se lisaient sur son visage et dans le ton qu’elle employait. Comme il s’y attendait, elle n’avait pas apprécié le silence qu’il lui avait offert en guise de réponse et il n’avait d’autre choix que d’écouter les remarques acerbes de son ex sur sa présence à Pearl Trees mais surtout il entendait le récit des souffrances qu’il lui avait causées et c’était le plus dur. Jeremiah avait encore du mal a accepté ce qu’il avait fait, il n’avait absolument pas fait le deuil de cette relation qu’ils avaient entretenue pendant sept ans et qui s’était terminée par sa faute, non, il n’était pas prêt finalement à obtenir la confirmation qu’il n’était qu’un salaud qui avait réduit en miette le cœur de la femme de sa vie parce qu’il avait été con, un soir, un seul… Un soir aux conséquences sur toute une vie, sur leur vie à tous. Alors qu’elle lui faisait subir une avalanche de reproches qu’il méritait amplement et qu’il ne contestait pas, le jeune papa gardait la tête baissée comme un enfant que l’on venait de surprendre en train de faire une bêtise. Il avait le cœur serré d’imaginer Savannah en proie à une immense solitude face à la trahison de ceux qui lui étaient le plus proche, le seul fait de penser à tout le mal qu’il lui avait fait le rendait malade mais pourtant, il ne disait rien, il ne savait pas quoi répondre, aucune excuse ne saurait comblée les dégâts dont il était à l’origine.

Alors qu’il relevait la tête vers elle, la mine déconfite, elle aborda finalement le sujet épineux, le mur qui se dressait entre eux depuis un an, Cassidy. Si elle semblait avoir compris que Jeremiah avait posé ses valises à Pearl Trees pour une raison qui ne lui était pas propre, elle avait aussi fait le rapprochement avec son ancienne meilleure amie. Qui d’autre pourrait amener le garçon à Pearl Trees si ce n’était pas elle ? Le dédain qu’il lisait dans ses yeux lui donnait envie de partir en courant, de fuir tant qu’il était encore temps avant que tout ça ne se termine de la pire des manières, mais au lieu de ça, il tenta de se justifier « Ce n’est pas ce que tu crois Sav’, je te jure. Je ne lui ai pas parlé depuis qu’elle a quitté Chicago. » Voyant que sa tentative d’explication ne convainquait personne, il secoua la tête. Au fur et à mesure, il comprenait qu’il ne faisait que de s’enfoncer et qu’il était loin d’arranger son image auprès de la reine de son cœur, non, il était en train de saboter toute leur chance, si tant est qu’ils en aient une… Elle avait bien dit « une deuxième fois » en parlant d’eux aujourd’hui, mais si ce lapsus ouvrait une porte, son attitude en fermait cinquante. S’il avait pu, il se serait enfoncé dans sa chaise jusqu’à disparaitre sous la table, il était en train de tout gâcher et il ne le supportait pas. Voyant que Savannah ne se satisfaisait pas de ce qu’il avait à lui dire, il attrapa sa veste et entrepris de quitter les lieux.

Au moment de passer la porte et de dire adieux à tous ses espoirs, il fit soudainement demi-tour et se dressa devant la blonde. « Ecoute, j’étais au fond du gouffre, je passais mon temps au boulot pour ne pas penser à toi, et un jour alors que je m’apprêtais à partir, j’ai trouvé un bébé devant ma porte, d’accord ? Avec une lettre… J’étais censé faire quoi Savannah hein ? » Il ne retenait plus ses larmes à présent, le souvenir de ces moments lui fit perdre pied et il continua péniblement, toujours debout devant elle : « Qu’est-ce que tu t’imagines ? Milo a un an depuis quelques jours, ajoute-s’y 9 mois et vois où ça nous mène ! Je fais ce qu’il faut pour mon fils, c’est tout. Toute ma vie, je vais vivre avec le poids de mon infidélité sur la conscience parce que le visage de Milo me rappellera toujours à quel point j’ai merdé. Je l’aime, il est la chair de ma chair, mais ça ne comble pas le manque que j’ai de toi Sav’, ça ne le sera jamais. » En terminant sa phrase, en ouvrant son cœur, il la regardait droit dans les yeux. Il venait de lâcher prise…

Savannah était debout face à lui, son sac à la main prête à s’enfuir face à l’ampleur des informations que Jeremiah venait de lui donner, face à ce lourd secret qu’ils avaient tous gardés, lui, Cassidy, la famille de cette dernière. Personne n’avait jugé bon de la prévenir et aujourd’hui, la vérité lui éclatait au visage quand elle s’y attendait le moins. Il savait qu’il la blessait et que la vérité lui ferait mal, mais pas au point de refuser de comprendre, et surtout pas au point de ruiner sa propre vie en épousant un mec qu’elle n’aimait pas. Pire que tout, elle parlait de Milo comme du trophée de cette nuit dont le souvenir le hantait chaque seconde de chaque minute, cette nuit qui a ruiné sa vie, ou en tout cas son couple, sa sérénité, son bien-être. Bien qu’il comprenne qu’elle n’accepte pas la situation, il sentait la colère monter en lui pendant qu’elle continuait sa tirade, son monologue de reproches voués à ce que le jeune père se sente mal. Elle ne voyait donc pas qu’il était déjà malade à l’idée de lui avoir dit tout ça, malade en pensant à ces deux dernières années ?! Elle devenait sarcastique, il ne l’avait jamais vu si sèche et dure, et il ne pouvait plus supporter un mot de plus, une insulte de plus à ce qu’il était profondément, elle qui le connaissait si bien, elle le descendait comme s’il n’était qu’un moins que rien, c’en était trop. Jeremiah se leva à son tour, la pointa du doigt et se mit à hausser le ton.

« Je t’interdis de parler de MON fils de cette façon. Et comment tu peux dire des choses pareilles Savannah, tu ne sais rien de rien, tu n’as AUCUNE idée de ce que j’ai dû traverser cette année, de l’histoire de Milo. Cassidy ne sait même pas que je suis là, elle ne veut pas de ce bébé parce qu’elle t’a choisi TOI, oui elle a choisi ton amitié plutôt que son fils alors qu’est-ce que ça fait de toi ?! Je devrais t’en vouloir aussi, parce qu’avec la pression que tu as mis sur elle, votre passé, indirectement, tu as brisé la vie de mon fils. Et pourtant je suis là en face de toi, à te demander pardon avant même d’aller la voir. Mais si tu veux la jouer comme ça, y’a pas de soucis, prends ton sac, et va-t’en, parce qu’il est clair que si c’est ce que tu penses de moi et si d’épouser un mec que tu n’aimes même pas est la vie dont tu as envie, tu n’es plus la personne que je connaissais non plus. J’en ai assez de me justifier, tu ferais mieux d’aller voir ta copine et de lui demander de s’expliquer, ça t’évitera de dire des choses aussi horribles sur mon fils. » Ses yeux lançaient des éclairs, il tremblait tellement la rage s’était emparée de lui. Il se rassit, et d’un ton plus calme, répéta à la blonde qu’elle pouvait s’en aller. Avant qu’elle franchisse la porte, il cria à travers le petit café « Tu sais quoi, t’as eu raison de partir, toi et moi c’est fini Savannah, y’a plus rien, plus rien du tout. » avant de tourner la tête et replonger dans sa boisson, essayant d’évacuer la rage et la frustration de ce rendez-vous raté.

Il touillait son café encore et encore, bien que le sucre soit fondu depuis des lustres, à vrai dire, il n’en avait plus envie, mais le bruit de la cuillère contre la porcelaine l’aidait à se calmer, le rythme régulier apaisait ses battements de cœur et il respirait à nouveau régulièrement. Bien sûr, il s’était attendu à ce l’éventualité que tout ça tourne mal, mais une part de lui rêvait encore à des retrouvailles comme dans les contes, il aurait aimé que le temps ne compte plus et que seuls les sentiments comptent, car alors ils seraient dans les bras l’un de l’autre, oubliant le passé, les erreurs, et ces paroles qu’ils venaient d’échanger et qui donnaient le ton à cette nouvelle version de leur relation. Il devait ouvrir les yeux, et comprendre que pour l’instant, il n’y avait pas d’espoir pour un « Savamiah », ce petit couple si parfait qui faisait rêver les autres il y a quelques années, non, ils en étaient à présent très très loin.