Sacrée journée. Un accident de voiture. Le mec était bourrée, il a eu le droit à un paquet d'amendes. Un récidiviste. Bien fait. Si ça n'avait tenu qu'à moi, je l'aurais laissé crever dans cette voiture. Il avait peut-être été tout seul cette fois mais je sais très bien ce que ce genre de comportements peut entrainer comme accidents moches. Des familles, des gosses, crèvent alors que ces blaireaux s'en sortent qu'avec quelques amendes et un retrait de permis. Désespérant. Et on appelle ça la justice... Foutu monde. Quoi qu'il en soit, je bossais pas de nuit et je comptais bien en profiter. Plus sérieux que certains de mes congénères, je me rends dans un bar à pieds. Je sais très bien que je vais largement dépasser les deux bières. Enfin, les deux whisky plutôt. Me jugez pas. Chacun a ses petits plaisirs. Moi, c'est l'alcool et je préfère quand il coule à flot. J'atterris au Joe's bar, commande mon premier whisky de la soirée. Lui, j'allais le déguster. J'avais attendu toute la journée avant de finalement pouvoir y toucher. Je remercie le barman, trempe mes lèvres avec une certaine impatience dans mon godet. Je tourne le dos au bar, promène mon regard à travers la salle. Personne que je connais, tant mieux. C'est pas comme si je connaissais beaucoup de gens dans les parages. C'est pas mon genre d'avoir plein d'amis. C'est pas que je suis méchant hein... Je dois juste pas être très sociable. Je capte l'attention d'une femelle dans la salle, je me retourne vers le bar. Non, je ne mange pas de ce pain-là. Rien que d'y penser, j'ai la nausée. Je m'étais trop forcé, je m'étais trop acharné à essayer de me changer. Je vais pas changer. Ça me fait chier, ça me pourrit la vie mais je changerais pas ça. Je peux faire ce que je veux, j'aimerais jamais les cheveux longs et les longues jambes élancées. Jamais. Des fois, je fais semblant. Quand, en patrouille, on croise des gonzesses potables, je mime un intérêt pour elles. Je fais comme mes collègues, des remarques indécentes. Ça marche bien. Je pense pas que quelqu'un se doute de quoi que ce soit. Je fais attention. C'est mon secret inavouable, ma merde à moi. D'ailleurs quand on parle de secret inavouable... Mon coeur manque de sortir de ma poitrine quand je vois qui entre à ce moment précis dans le bar. Je me sens rougir, merde. Je mets un moment avant d'avoir la bonne idée de tourner la tête, de faire comme si j'avais rien vu bien que ce soit pas très crédible. Avec un peu de chance, il m'avait même pas vu hein. En tout cas, je me fais discret. Je finis mon verre d'une traite, le pousse un peu plus loin sur le bar. « Un autre s'il vous plait. » Je murmure presque, j'avais envie de disparaitre. Je prie intérieurement pour que je  ne me fasse pas remarquer. Oui, je prie toujours. Je crois peut-être pas en Dieu mais c'est une habitude qui me plait bien. C'est plus une conversation avec moi-même qu'une conversation avec le Seigneur. J'aime bien ça, ça me permet de me recentrer. Mais là, j'arrive à rien.

C'est exactement le genre de choses que je préférais éviter. Les mecs si j'arrive à en emmener un dans mon lit, c'est pour ne plus jamais les revoir. Je suis pas prêt à accepter, je suis pas prêt à être moi-même. Ça me coute beaucoup. L'espace d'un instant, j'espère qu'il passe son chemin, qu'il m'ignore comme je cherche à le faire sans trop de succès. Mais, finalement, il prend place à côté de moi. J'entends sa voix, en reconnait jusqu'à la moindre vibration. Incroyable la mémoire que je peux avoir. C'est plus fort que moi, je finis par tourner la tête vers lui. Je souris pas, j'exprime rien. Je le regarde simplement. Finalement, mon verre arrive et je l'avale d'une traite. Je fixe le verre vide, joue avec. La situation était extrêmement gênante. Je trouve rien à dire d'intelligent alors je me tais. Je lui ai jamais donné de nouvelles, c'est pas comme si le message avait pas déjà été clair. Fallait que je l'ignore, fallait que je m'y tienne. Mais non. Mes yeux se posent à nouveau sur lui sans que je puisse les contrôler. J'ai envie de m'encastrer la tête dans le bar mais je n'en fais rien. « Salut. » Un mot, c'est déjà pas mal. Qu'est-ce que je pouvais bien faire de toute façon? Lui expliquer? Il comprendrait pas. Je comprends pas moi-même. Je suis pas hétérosexuel mais je me refuse encore et encore d'être homosexuel. Allez comprendre la logique, je la vois pas moi. Et pourtant. C'est comme ça. J'arrive pas à sauter le pas. Au moins, Liam aussi n'avait pas l'air spécialement à l'aise. Je pouvais au moins me consoler avec ça. Je pouvais encore partir en courant. C'est pas vraiment une mauvaise idée ça. Ça m'éviterait tout un tas de situations très gênantes. Je le pense très fort mais j'y arrive pas. Mes fesses restent clouées au siège du bar. Alors je détourne les yeux, cherche quelque chose d'autre où poser mon regard. Ça, au moins, j'y arrivais. Je sais plus quoi faire, je me sens minable. On devait avoir l'air bien con tous les deux. Est-ce que quelqu'un ici se douterait de quelque chose en nous voyant? J'espère pas. J'oserais plus jamais sortir de chez moi sinon. Je devrais sûrement à nouveau déménager. C'est pas que j'aime Pearl Trees, c'est juste que j'ai franchement la flemme. Les déménagements, c'est chiant. Encore plus quand t'es tout seul. Les cartons, tout ça. Moi, je fous tout dans un carton et je mets du scotch en espérant que le carton tienne le choc. Basta! Qu'est-ce que je raconte? On est vraiment loin d'y être là... Je soupire. « Ecoute Liam... Je pars si tu veux. T'as qu'à demander, je comprendrais. » Et ça m'arrangerait. Je fuis son regard, regarde les différentes bouteilles présentes derrière le barman. Je les compte, les détaille du regard. Je fais vraiment tout mon possible pour penser à autre chose mais la simple présence de Liam à mes côtés me rend dingue. Je déraille complètement.

Je savais à quoi m’en tenir au moins maintenant, il m’ignorait totalement depuis que j’étais entré dans ce bar. Après tout, nous n’avions strictement rien fait à part échanger un baiser. Juste ça. Fallait pas que je crois qu’il aurait pu y avoir une suite, je ne suis pas si idiot. Enfin plutôt, je croyais ne pas être idiot. Comme quoi un rien rend idiot. Mais pour autant, je ne me pris pas à son jeu de l’ignorance totale. Il ne voulait peut-être pas me parler, et je ne l’en empêcherais pas, mais rien ne m’empêchait de m’asseoir à ses côtés, et de toute façon c’était une des seules places au bar qui était libre. Recevant rapidement ma bière, j’en avale deux longues gorgées avant de reposer la bouteille. Non pas que l’alcool me rendait courageux ou même joyeux, mais ça me faisait du bien. Je sentis bien qu’il posa son regard sur moi, la première fois, mais à vrai dire je n’avais même pas oser son regard. Je n’avais pas spécialement peur, mais je n’étais pas non plus complètement rassuré, et je sais que je n’apprécierait pas ce qu’il pourrait me dire. Relevant mon visage de ma bière, je croise cette fois-ci son visage, inexpressif, vide. Je déglutis et opina de la tête comme réponse. Je ne sais même pas si j’ai envie de lui répondre. Une chose est sûre, c’est certain qu’il ne mérite pas que je m’intéresse de nouveau à lui, et pourtant après avoir posé mon regard sur sa personne, je sais que je ne pourrais plus faire celui qui n’en a rien à faire. Je détourne de nouveau la tête, vers l’arrière du comptoir. Il n’avait pas l’air d’avoir changé ces derniers mois, et surtout il n’avait toujours pas l’air d’avancer, ni même d’avoir une once d’acceptation de ce qu’il était. Ca me désolait, vraiment. Pas pour moi, moi je m’en foutais, je m’en sortais impeccablement, et je m’assumais pleinement, je n’avais donc pas à me plaindre. Mais lui se pourrissait réellement la vie. Je veux bien concevoir qu’il était dans un métier où les préjugés sont omniprésent et où la différence n’est pas forcément pas acceptée telle qu’elle devrait l’être. Ca, je comprenais bien qu’il ne souhaite pas divulguer ce qu’il est réellement, ce que je ne comprenais pas vraiment, c’était qu’il s’évertuait à se mentir alors qu’il connaissait l’évidence. En l’observant, je comprenait rapidement qu’il n’avait envie que d’une chose : partir de là. Mais il ne le fait pas, et je me demande ce qui le retient. Parce qu’il ne faut franchement pas être devin pour comprendre qu’il est loin d’être à l’aise. Je manque presque de m’étouffer alors que je prends une nouvelle gorgée de bière, ce qui me brûle la gorge soi-dit en passant. « Tu dis vraiment n’importe quoi. Si tu as envie de partir, tu pars. Ce n’est pas moi qui vais t’en empêcher ou qui va te retenir contre ton gré ». Je pose cette fois-ci franchement mon regard sur lui, me demandant ce qui clochait vraiment avec lui. Parce que c’était lui qui m’avait embrassé la dernière fois, pas que je m’en plaigne au contraire même, et c’est lui qui était resté sans nouvelle. Oh, le message était bien passé, il n’y a pas de souci pour cela, mais j’avais au oins le droit à une explication, non ?!