Au calme chez les morts.

AVEC MAYA

Il l'avait cherché partout, mais il ne l’avait pas trouvé ce foutu calme. Il y avait toujours quelqu'un qui traînait avec ses yeux compatissants qui lui disaient que ça irait. Avec tout l'amour du monde qu'il portait à son entourage, il avait besoin d'être seul. Il profitait des moments d'absences de Vithanie pour aller prendre l'air, allé voir sa famille. Il avait essayé d'aller au domicile familial. Il avait essayé, mais il avait vu dans le regard de sa mère toute cette pitié donc il ne voulait pas. Et puis ça parlait autour de lui, avec des mots doux, des mots mesurés, histoire de pas le froissé, comme si c'était lui le malade.

Damien il avait tout essayé dans la ville, le parc, mais il entendait toujours les oiseaux piailler leur joie de vivre et des amoureux roucouler. Il avait essayé l'hôpital, mais les vas et viens dans les couloirs d'infirmier comme malades ne l'aidaient pas. Il était même allé à la plage, mais là encore il y avait des gens qui trouvaient que c'était la bonne saison pour aller faire trempette. Alors finalement, il s'était rendu là où tous les habitants avaient perdu leur droit de parole.

Damien avait poussé doucement le portail mal huilé et s'aventure entre les pierres tombales du cimetière. Au moins ici c'était silencieux. Au moins les rares personnes qui venaient, sanglotaient et puis c'était tout. Elles repartaient sans demander leurs restes. Et c'était ce qu'il fallait à Damien. Un peu de solitude avec des morts qu'on vient voir une fois de temps en temps pour être sûr qu'ils n'ont pas changés de place, ça n'allait pas le tuer.
Damien devait bien avoir quelques connaissances enterrées dans cet endroit peu accueillant, mais ce n'étaient pas elles qu'il était venu voir. Les mains dans les poches et la tête ailleurs, ses pieds cherchent un endroit qui ne serait pas trop désagréable pour ses fesses. Il se cale contre un arbre et puis il écoute le bruit du vent dans les feuilles. Y a l'écorce rugueuse de l'arbre qui lui écorche le dos, le vent qui balaye ses cheveux devant ses yeux. Mais Damien il s’en fou. Damien il est en fin au calme et il peut enfin réfléchir pleinement à ce qu’il doit faire. Il y a plein de choses qui se bousculent dans sa pauvre tête, il en perd presque parfois son sang-froid. Et il aime pas ça Damien perdre son sang-froid et sa patience. Damien ferme les yeux et se laisse bercer par ce calme qu’il cherchait tant.

Damien ouvre les yeux, il sait pas trop si c'est parce qu’il vient de se réveiller d’un sommeil profond ou parce qu’il a entendu du bruit. Son premier réflexe c’est quand même de regarder l’heure. Puis finalement il constate que les aiguilles n’ont pas trop bougées. Damien lève la tête parce qu’y a une ombre qui lui tombe dessus, une ombre qui lui est vaguement familière malgré les années. 

Ce qu'il y a bien avec les morts

c'est qu'ils ne te contredisent pas...

AVEC DAMINOUSHKA

Perchés sur des escarpins d'une dizaine de centimètres, un jean slim et un petit haut en soie, Maya était fin prête pour son petit rendez-vous hebdomadaire avec Eliott. Un peu de rouge à lèvres, le même qu'il maudissait quand elle lui en collait sur ses cols de chemise. Peu importe, il n'y avait plus aucun risque de l'entendre râler à présent, pourtant elle aurait aimé. Elle aurait aimé l'entendre râler des heures et des heures, des jours entiers s'il le fallait pour qu'elle puisse un jour le retrouver. Dans quelques jours cela fera un an qu'il l'avait quitté. Abandonné. Laissez pour morte. Elle se souvient encore de leur dernier regard, de sa main dans la sienne, de cette odeur atroce de sang et de brûlé qui les entouraient. De ces oiseaux chantant leurs plus belles mélodies qui annonçaient le printemps et de ces corps que ni l'un ni l'autre étaient capables de bouger. Sa main serrant la sienne, c'était la dernière chose qu'il lui avait accordée avant de partir dans un dernier souffle. Elle n'avait pu rien faire. Pas même été capable de crier ou de lui hurler de ne pas l'abandonner, pas tout de suite en tout cas. Son souffle avait été coupé par la douleur, lui donnant l'incapacité de sortir un seul son. Maya se remettait tout doucement, à son rythme à elle de cet accident, faisait croire à tout le monde que le choc ne lui en avait laissé aucun souvenir. " Je me souviens qu'on roulait, je le regardais et d'un coup c'est le trou noir, je me réveille à l'hôpital... C'est tout ce que je me souviens. " " Ça viendra peut-être... Il faut vous laissez du temps. " Elle l'avait entendu des dizaines de fois et elle y avait toujours répondu avec un sourire pincé mais poli.

"Salut mon amour... Aujourd'hui est un jour sans. Alors tiens toi prêt parce que je vais te faire regretter une fois de plus de m'avoir laissé. Regarde-moi ce jean, puis ces talons... Tu as vu ces fesses qu'ils me font. Tu vois il n'y a plus personne pour les toucher... Regardes ce que tu loupes Eliott. Je vais bientôt les mettre en enchère je crois. Je n'ai plus personne pour s'en moquer le matin pour me faire râler, ni personne le soir pour les admirer et s'amuser avec une fois la nuit tombée. T'as toujours préféré fuir les conflits de toute façon...Ca c'était ton truc, fuir. Rappelle-toi quand je t'avais parlé d'adopter un chien et que tu remettais toujours cette conversation au lendemain en faite tu fuyais ni plus ni moins. Je te déteste Eliott Johnson. J'aimerais que tu sois à côté de moi pour pouvoir tabasser ton jolie derrière... Qu'est-ce qu'il était mignon d'ailleurs en parlant de lui, lui aussi me manque... Ton corps entier me manque, mais j'avoue que tes fesses ont toujours marqué quelques points de plus... Haaaaaa et malgré mon monologue tu arrives à t'en sortir bien et j'arrive toujours à te trouver des qualités quand aujourd'hui j'étais seulement venue te citer tous tes défauts... "

La jeune femme pleurait en rigolant. Elle se savait totalement dingue mais ne pouvait louper un seul de ses rendez-vous avec Eliott. C'était sa façon à elle de continuer à le faire vivre. Elle s'était aperçue à différentes reprises qu'elle perdait peu à peu son odeur, sa voix... Elle n'était plus sûre de les imaginer correctement et s'en voulait profondément alors sous aucun prétexte Maya Johnson aurait été aux abonnées absentes au cimetière de Pearl Trees. De toute façons elle se fichait d'être ridicule, hormis Erny le vieux jardinier, personne ne venait jamais ici...

Au calme chez les morts.

AVEC MAYA

Il savoure son temps, il savoure le beau temps. Le regard fiché dans les branches d'arbres et les jambes allongées sous l'ombre de ce même végétal. Il se laisse le temps de réfléchir et pour réfléchir rien de mieux qu'une cigarette qu'il sort du paquet rangé dans sa poche. Il glisse le tube rempli de tabac entre ses lèvres. Il reste un moment comme ça, s'en l'allumer, juste parce qu'il aime rester comme ça. Damien c'est pas un grand fumeur, il l'a été pendant un moment, mais il a arrêté, maintenant c'est juste à l'occasion. Mais la clope chez Damien elle reste le plus souvent éteinte, entre ses lèvres coincée, une habitude qui reste, qui persiste. Puis finalement, il se l'allume, il craque et il inspire. Ça lui fait du bien, ça le détend. Il avait eut l'impression que son cerveau allait imploser à force de se bourrer le crane à coup d'hôpital. Il regarde les tombes, il regarde ces morts et Damien se dit qu'eux au moins ils pourront plus choper le cancer. Et il sourit à cette pensée. Damien se dit que même s'ils ne peuvent plus rien vivre ils échappent à pas mal de responsabilité.
Damien entend un rire et il lève la tête, intrigué. Et puis il se lève tout court. Il va voir ce qu'il se passe, pourquoi on rit dans un lieu si morbide. Il distingue une silhouette féminine blonde. Damien s'approche, un peu curieux de savoir ce qui pouvait bien la faire rire. Elle semble pleurer aussi. Elle parle aussi, seule visiblement. Mais Damien ne juge pas, ça semble juste tellement cliché de parler aux morts dans un cimetière, chacun fait ce qu'il veut.
Il s'approche jusqu'à être à sa hauteur et il voit les larmes, il voit le rire. Pourtant Damien, la clope au bec qui part en fumée, il dit rien. Damien il fonce juste des sourcils. Il reprend la cigarette entre ses doigts pour laisser la cendre tomber par terre. Il la dévisage et finalement il parle, comme si il avait longtemps réfléchit. « On ne se connaîtrait pas ? Je veux dire, tu t’appellerais pas  Maya par hasard ? »  

Ce qu'il y a bien avec les morts

c'est qu'ils ne te contredisent pas...

AVEC DAMINOUSHKA

Alors qu'elle parlait, elle entendait des pas derrière elle, peu importe le vieux Erny avait l'habitude de ses crises de folies digne d'une scène de théâtre. Il l'observait souvent, elle le savait. Elle l'observait parfois aussi quand elle s'installait sur un des bancs du cimetière pour retrouver une certaine sérénité avant de retourner à la vie réelle. Maya le voyait râler derrière son râteau, son tas de feuilles mortes qui se dispersaient alors qu'il avait passé un temps fou à tout ratisser pour le rassembler. Il ruminait dans sa barbe en permanence, contre le monde, contre les vivants, et même les morts à l'écouter arrivait à l'emmerder. Oui Erny, tout le monde l'emmerdait alors Maya, elle rigolait. Il la faisait même pleurer de rire parfois, alors le vieux jardinier lui jetait un regard noir, puis se mettait à râler contre elle. C'était le signal qu'il lui indiquait qu'il était l'heure de partir.

" Bref, tu m'énerves Eliott... Alors je ne resterais pas très longtemps avec toi aujourd'hui, ça t'apprendra à faire l'idiot ! "

Maya sentis les pas s'approcher d'elle, alors elle s'arrêta de parler. Ce n'était pas Erny. Non, lui, il ne l'aurait jamais approché. L'un et l'autre, s'observaient toujours de loin, mais ne s'étaient jamais adressé la parole, pas même un bonjour. Elle se retrouva dans un nuage de fumée de cigarette et une voix vint briser le silence de mort qui régnait désormais. Maya avait tout sauf l'envie de se retourner et de se retrouver face à un homme lui posant des questions. Elle aurait bien voulu l'ignorer, seul hic, monsieur avait l'air de la connaître en personne en ayant prononcé son prénom. Elle ne voulait pas affronter son regard, alors d'une main rapide, elle essaya d'essuyer le mascara qui avait sans doute coulé puis renifla. Restant de dos, elle prit la parole. " C'est bien moi oui... " La curiosité fut trop grande, elle regarda au-dessus de son épaule voir qui était l'homme qui osait venir la déranger en plein rendez-vous galant. Damien Rousseau. Elle l'avait évidemment reconnue.

" Drôle de retrouvailles hein... "

Devait-elle aller lui dire bonjour ? Le serrer dans ses bras ? Aller le voir et lui parler de toutes ces années qui avaient défilé depuis le temps ? Le silence régnait de nouveau, une certaine pudeur s'était alors installée. Maya n'avait pas bougé, toujours dos à lui, lui lançant quelques petits regards par-dessus son épaule.

Au calme chez les morts.

AVEC MAYA

Damien dans le cimetière presque vide, observait ce brin de femme qui parlait seule. Ca l’amusait en quelque sorte. Il ne comprenait pas forcément ce qu’elle disait, mais ça le faisait rire. Elle était pleine de vie, contrairement à l’ambiance générale du lieu. Il prend une bouffée de fumée dans la cigarette. Il respire, il aspire cet air macabre et si calme. Il aime le calme. Il sourit lorsqu’elle se tait en le sentant approcher. Mais son visage, sa voix, la voir de dos évoque en lui des souvenirs lointains. Des souvenirs adolescents. Des souvenirs qui le font sourire. C’est elle. Mais elle qui ne se retourne pas. Elle parle, elle confirme son identité dont il ne doute pas. Et puis elle finit par regarder par-dessus son épaule. Ah ben c’est pas trop tôt ! Il se plaça à ses côtés. Il était amusé plus qu’autre chose le Damien. Il sourit à sa remarque. « C’est vrai que c’est pas commun comme façon de se retrouver ! »
Il regarda ensuite la tombe devant laquelle ils étaient. Il déchiffra le nom et ne le reconnu pas. Il ne savait pas de qu’il s’agissait. Ca faisait un coup au bouclé. Ils avaient vraiment perdu contact, pas pour de faux. Damien décida d’essayer de renouer le contact avec la blonde. Ils s’étaient perdus de vu bêtement et il avait décidé que ce n’était pas un hasard s’ils se retrouvaient maintenant. « C’est qui ? » Demanda-t-il simplement. « Tu n’es pas obligée de répondre si ça te gêne bien sûr. » Il pose sa main sur son épaule, en signe de soutiens. Il doute un instant de la proximité qu'il vient de mettre entre eux, mais il laisse sa main. Dans son entourage, personne n’a trépassé. Il ne peut pas savoir ce qu’elle endure, mais il ne peut que comprendre. Surtout qu’il ne connait pas les conditions. Elle avait l’air d’une folle comme ça dans le cimetière à parler seule, mais il n’était pas là pour juger. Il ne jugeait pas.