Les yeux rivés sur l'horloge de son bureau, un paquet de feuilles devant elle et un ordinateur ouvert sur un logiciel de simulation de décoration d'intérieur, Faith marmonnait depuis de longues minutes des "ah", "peut-être", "oui", "non" peu convaincus au téléphone. Il était tard, elle voulait rentrer. En théorie, son entreprise tolérait de ses employés qu'ils quittent les lieux un peu plus tôt les vendredi soirs, quitte à travailler un peu plus dur pendant la journée, pour pouvoir entamer leur week-end bien mérité plus rapidement. Seulement, le client était roi. Malheureusement. Et le client passait avant l'horloge qui criait à Faith depuis une bonne demi-heure qu'elle pourrait à cet instant précis être chez elle, emmitouflée dans un plaid devant un film à la qualité douteuse. Un vendredi soir parfait, donc. « Ecoutez, madame Millers, je n'y peux rien, moi. Votre mari est passé signer le contrat il y a déjà deux semaines, vous-même avez validé tous les plans qu'on vous a proposés... alors maintenant que la chambre a été repeinte, si vous avez soudainement décidé d'être allergique au Bleu Pervenche, c'est votre problème. » Elle tentait de rester calme, mais c'était de plus en plus difficile de supporter les jérémiades de cette trentenaire un peu lunatique qui accaparait tout son temps. Elle s'exaspéra une nouvelle fois, affirmant que c'était inadmissible, qu'elle voulait être remboursée, qu'elle n'aimait pas les meubles -qu'elle même avait choisis un mois auparavant, soit dit en passant. « Vous avez officiellement signé, madame, avec tout le respect que je vous dois, vous êtes théoriquement en âge d'affirmer que vous aimez un meuble sans le détester trois jours plus tard. » Un soubresaut. Et allez, elle allait sortir les violons. Faith leva les yeux au ciel, soupirant lourdement. Elle en aurait pour au moins un quart d'heure de plus, si madame commençait à chouiner. « Vous... c'est à dire que... on avait décidé ça avec mon mari, d'un commun accord mais... mais nous... nous nous sommes séparés. » Elle fondit en larmes. C'était pathétique. Faith aurait presque pu compatir, mais elle avait déjà une demi-heure de mise à épreuve nerveuse derrière elle: elle craquait. « Brûler la commode ne le fera pas revenir, merde. Je suis pas conseillère conjugale, j'ai fait mon boulot, vous vous trompez d'interlocuteur, là, c'est un psy qu'il vous faut appeler! Moi, je veux être en week-end. Bonne soirée madame Millers. Euh. Mademoiselle. Ex-Millers. Eh mince. » Très délicat, Faith. Elle toussota en se médisant intérieurement, puis raccrocha. C'était mieux pour son interlocutrice, de toute façon. Elle n'aurait fait que l'enfoncer, se connaissant. Ce n'était pas vraiment son truc, de régler les problèmes des autres... elle n'arrivait seulement pas à régler les siens.

En toute honnêteté, lorsqu'elle ouvrit la porte de chez elle, la blondinette s'était attendue à retrouver son mari, aux fourneaux peut-être (si elle se laissait aller au fantasme), devant une table déjà mise et sur laquelle étaient allumées deux bougies. Oh, et il lui aurait fait couler un bain. ça aurait été parfait. Seulement face à elle, à cet instant, rien plus que la pénombre. Elle tendit machinalement sa main droite vers l'interrupteur, et découvrit une salle d'entrée vide qui donnait sur un salon vide et une cuisine toute aussi vide. Elle aurait dû le deviner en ne voyant pas la voiture de Léo devant le garage... Un peu déçue, miss Howell déposa son sac et ses clés dans l'entrée, puis se dirigea instinctivement vers le téléphone: il y avait un message. « Faith, chérie, c'est Léo. Je pensais que tu serais déjà à la maison, tu as dû être retardée... enfin bref, ne m'attends pas ce soir, je rentrerai tard, j'ai pas mal de boulot. Oh, et... amuse-toi bien! » Il y avait une sorte de complicité dans sa voix qui lui faisait presque entrevoir le clin d’œil qu'il lui aurait décerné à la fin de sa phrase s'il la lui avait énoncée en face à face. Faith se contenta d'arquer un sourcil, ne comprenant pas vraiment pourquoi il voulait qu'elle s'amuse outre mesure alors qu'elle était seule chez elle un vendredi soir...

La réponse arriva d'elle-même, quelques minutes plus tard. Elle toqua à la porte. Intriguée, Faith alla ouvrir, prenant le soin de regarder dans le judas pour vérifier qu'elle n'allait pas se faire agresser... C'était Cara. Un sourire aux lèvres, quoi qu'elle était étonnée de la voir, elle ouvrit la porte pour trouver la brunette de ses rêves excitée comme une puce, qui lui annonçait qu'elle devait faire ses valises. Howell arqua un sourcil, confuse. « Mes val... mais pour... on... » Elle était totalement perdue, tant et si bien qu'elle n'arrivait pas à savoir quelle question devait l'emporter sur les autres. Elle fut tue par un baiser de sa douce, qui avait pris le soin de vérifier que personne n'en serait témoin et qui avait fermé la porte derrière elle. Faith ouvrit dans un premier temps des yeux ronds comme des billes, le temps de réaliser qu'elles étaient effectivement seules. Elle lui rendit alors son étreinte tendrement, souriant contre ses lèvres. « Tu es complètement dingue, tu le sais ça? » Rit-elle légèrement, suggérant par là qu'il lui semblait qu'il s'agissait d'un coup de poker, comme si elle avait parié que Léo n'était pas là sans réellement le savoir -en réalité elle le savait, puisque sa voiture n'était pas là, mais Faith n'y avait pas pensé. La suite des dires de sa meilleure amie l'intrigua un peu plus. Elle ne s'était pas psychologiquement préparée à partir tout un week-end avec elle... et avec la bénédiction de Léo? s'il savait... « Mais je... wow! ça pour une surprise! » Un grand sourire aux lèvres, Faith tapa dans ses mains rapidement, comme si elle applaudissait l'initiative dans le but d'extérioriser son engouement. « On va où? » Demanda-t-elle, les yeux brillants comme un enfant à qui on promettait un séjour à Disney Land.

Sur ces mots, elle alla vers sa chambre, faisant un signe de la tête à Cara pour qu'elle l'accompagne. Elle allait juste faire sa valise, mais puisqu'elle avait l'occasion d'être avec elle, il était hors de question qu'elle reste dans le salon. La blondinette se tourna alors vers son placard, hésitant quelques instants. Elle se mit ensuite sur la pointe des pieds pour attraper un gros sweat qu'elle affectionnait tout particulièrement les week-end de grand froid, prit un jean et une paire de collants épais ainsi qu'un pull qui faisait un peu plus "habillé" que son sweat si grand qu'on aurait pu croire qu'elle l'avait emprunté à Léo. Après avoir fourré le tout dans sa valise, y ajoutant une trousse de toilette qu'elle alla rapidement remplir à la salle de bain, la blondinette revint vers Cara, dont elle attrapa les mains en la regardant amoureusement. « C'est une super idée, vraiment... je suis tellement contente de passer du temps avec toi. » C'était plus que sincère. Elle lui manquait. Tout le temps. Dès qu'elle passait plus d'une seconde sans elle, elle avait ce sentiment de vide intense qui lui suggérait de se ruer sur son téléphone dans l'espoir d'entendre sa voix à nouveau. Elle était sa meilleure amie, et bien plus encore; elle l'aimait, tout simplement, et ce même si elle n'en avait pas le droit.

En préparant ses affaires, Faith essayait de se faire à l'idée qu'elle allait partir pour un week-end surprise avec Cara. Cette escapade était inattendue, mais terriblement bienvenue, pour être honnête. D'ailleurs, alors que miss Maden suggéra qu'elle espérait que ça plairait à la blondinette, cette dernière avait déjà des étoiles dans les yeux à l'idée de profiter d'un week-end qu'elle préparait secrètement depuis un moment. L'attention était plus qu'adorable. « Je suis certaine que je vais adorer. » Assura miss Howell en laissant ses lèvres se courber en un sourire sincère. « Et puis si c'est avec toi, ça ne peut qu'être parfait! » Elle aussi ressentait le besoin quasi vital de se retrouver un peu avec elle, se retrouver avec sa petite amie et non plus seulement avec sa meilleure amie. Elle avait besoin de pouvoir lui dire pendant deux jours entiers combien elle tenait à elle sans se soucier des oreilles indiscrètes qui pourraient potentiellement ruiner tout ce qu'elles avaient. Non, ce week-end, il était pour elles, et elles seules. C'était en ça déjà qu'il était parfait.

Le temps pressait. Plus vite elles partiraient, plus vite elles pourraient profiter du week-end préparé par Cara -qui de toute évidence leur paraîtrait bien trop court. Avant de ne déclarer sa valise totalement prête, cependant, Faith fut rappelée à l'ordre: un maillot de bain. Elle lança son oreiller en direction de Cara en signe de protestation quant à sa phrase suivante, trop hilare pour paraître sérieusement fâchée. Une fois la taquinerie effectuée, elle resta perplexe quelques instants. Son bikini faisait tache au milieu de ses polaires certifiées efficacité grand-froid... Alors qu'elle parvenait tout juste à la conclusion qu'elle aurait peut-être droit à un jacuzzi -dieu, ça allait être parfait-, Faith fut sortie de ses pensées par la voix de sa meilleure amie qui, d'un air suggestif, lui confiait prétendument qu'elle avait oublié le sien. Arquant un sourcil, elle ne sut réprimer le sourire en coin qui se dessinait sur ses lèvres. « Quelle tête en l'air... enfin... Ce n'est pas moi qui vais m'en plaindre. » Dans un clin d’œil, la blondinette tira sur la fermeture éclaire de sa valise, signifiant par là qu'elle était fin prête. Elles allaient pouvoir partir.

Encore un peu désorientée et tout à fait fatiguée de sa journée, Faith ne protesta pas en voyant sa belle porter et ranger sa valise pour elle. Elle aurait pu jouer les dures, mais elle envisageait plutôt de la remercier d'un baiser tendre, dans l'état où elle était. D'ailleurs, en quatre heures de route, elle risquait fort de la délaisser au profit des bras de Morphée, qui lui proposait son étreinte de façon de plus en plus insistante. « Il me tarde d'y être... C'est tellement une bonne idée, Cara, ça a l'air super! » Faith monta dans la voiture, prenant soin de s'attacher avant de n'ouvrir la boîte à gants pour y découvrir ledit kit de survie. Un grand sourire aux lèvres, elle énuméra quelques uns des articles qui s'y trouvaient. « Magasines, pop-corn... t'as pensé à tout! » Définitivement: ça allait être tout simplement parfait.


Le ronronnement régulier du moteur s'estompa légèrement. Depuis son sommeil profond, Faith intégrait plus ou moins à son rêve actuel les nouvelles légères secousses dues à l'arrivée de la voiture sur le gravier. Ce qui l'extirpa peu à peu de ses songes fatigués, ce fut la douce voix qui couvrait celle du moteur de la voiture; celle qui lui chuchotait qu'il était l'heure de se réveiller. Aussi se sentit-elle peu à peu revenir à elle, brisant par la même la régularité certaine de son souffle endormi, laissant ses paupières frémir en tentant de s'ouvrir. Peu à peu, la blondinette distinguait quelques formes dessinaient par la lumière ocre des lampadaires qui longeaient le chemin sur lequel elles roulaient. Un clignement. Deux clignements. Faith parvint finalement à ouvrir ses yeux bruns dans leur entièreté, encore un peu trop perdue pour faire des petits bonds d'excitations en constatant la beauté du paysage. Il y avait des montagnes, ainsi qu'un lac sur lequel dansaient des lumières sobres. C'était magique. Faith se serait cru enfant devant son sapin de noël: un sentiment de plénitude et de paix l’envahissait, comme s'il s'agissait d'un pouvoir authentique d'une nature que le rythme citadin oubliait trop souvent.

Cara finit par couper le moteur alors que sa camarade s'étirait légèrement, décidée à s'extirper définitivement de son état post-sommeil. « Je viens avec toi, ça me réveillera! » Ainsi sortirent-elles de la voiture... et effectivement, l'air était... vivifiant, dirons-nous. Faith se mit rapidement à claquer des dents. Finalement, ce n'était peut-être pas l'idée la plus pertinente qu'elle eut eu. Enfin, peu importait; ça n'allait pas durer, et ce serait prétexte à se réchauffer au coin d'un feu de bois.

Lorsqu'elles arrivèrent à leur chalet, Faith crut que sa mâchoire allait se décrocher. « Waaaah... » Ses yeux étaient grands ouverts alors qu'elle tournait sur elle-même en relevant la tête pour mieux apprécier l'espace et la beauté du chalet. C'était tout bonnement magnifique. Faith n'avait qu'une envie: y entrer... et manger la fameuse raclette. Au moins, ça réchaufferait.

Lorsqu'elles furent à l'intérieur, la blondinette était toujours bouche-bée. Elle dut faire battre ses longs cils à plusieurs reprises, incapable de dire si elle était encore en train de rêver ou s'il s'agissait bien d'un endroit paradisiaque où elles allaient passer le week-end. Au fur et à mesure qu'elle découvrait toutes les pièces, tenant la main de Cara dans la sienne, elle réalisait que c'était bien vrai. Aussi son sourire s'élargissait-il à chaque pas de plus qu'elle faisait dans la parfaite demeure. « Mon dieu, c'est parfait, parfait, parfait... C'est tellement beau! » Elle en perdait tout vocabulaire constructif. « On dirait juste la maison de mes rêves, en fait, concrètement. »

Les deux jeunes femmes se dépêchèrent de tout décharger, incapables d'attendre une seconde de plus sans s'installer. Quand tout fut en place, on leur livra à manger comme si elles étaient des princesses, ou quelque chose comme ça -la pensée fit légèrement rire Faith. Celle-ci alla par la suite refaire un tour du salon, admirant la pièce au point qu'elle en avait le souffle presque coupé d'excitation. Et la vue... elle ne l'avait pas encore remarqué, mais la fenêtre donnait directement sur le lac sombre qui s'étendait aux côtés du chalet. Une pure merveille. Elle se perdit un temps dans les eaux profondes, frémissants aux plissements de l'eau sous les doux coups du vent. Elle se sentait tout simplement apaisée. Rien n'aurait pu gâcher ce moment...

Soudain, elle sentit une légère pression sur son épaule et sa taille, et pencha la tête sur le côté pour la poser contre celle de Cara. Comme si tout ça n'était pas assez parfait, la décoratrice se vit offrir un magnifique bouquet de fleurs à la vue duquel elle ouvrit de grands yeux, tout sourire. « Wahou, Cara, je... tout ça... je ne sais pas quoi dire... » Elle se retourna dans ses bras pour lui faire face, et déposa un long baiser sur ses lèvres en passant ses bras derrière son cou. C'était à peu près tout ce qu'elle était capable de lui dire, à cet instant précis. « Merci... » Elle s'empara une nouvelle fois de ses lèvres, cette fois-ci brièvement, l'air amusée, puis se retira de son étreinte malgré toute la peine que cela lui causait. Elle se dirigea alors vers la table de la pièce, et prit soin de déposer les fleurs dans un vase avant de ne servir à chacune une coupe de champagne. Elle tendit la sienne à Cara, puis leva son verre pour le cogner légèrement contre le sien. « À ce week-end parfait... et à ma parfaite Cara. » Elle n'en but qu'une gorgée, puis sembla frappée d'un éclair de génie. « Oh, attends, je vais faire du feu... Toi, moi, une couverture, devant la cheminée... ça ne te fait pas rêver? » Elle, en tout cas, ça la faisait rêver -en témoignait son sourire jusqu'aux oreilles. Tout était tout simplement génial. Probablement plus parfait encore qu'elle n'aurait jamais osé l'imaginer. Plus rien n'existait qu'elles; le monde extérieur n'était plus qu'une vague notion à laquelle Faith ne pensait plus. Et ça faisait un bien fou.